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Love Streams (c) D.R. TORRENTS D’AMOUR
LOVE STREAMS

de John Cassavetes
Par Nicolas RICHARD


SYNOPSIS : Robert (John Cassavetes), romancier alcoolique et grand consommateur de prostituées, traque le désespoir à chaque recoin de bar. Sa sœur, Sarah, (Gena Rowlands), ultra-possessive, en pleine procédure de divorce, tente de recoller les morceaux de la vie de son frère et la sienne.

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L’AMOUR-ESCALIER

  John Cassavetes (c) D.R.
Love Streams a pour point de départ une pièce de Ted Allan, I’ve seen you cut lemons, dont la création à Londres date de 1972. Cassavetes s’empare du texte et s’engage dans une longue période de réécriture, la pièce change de titre plusieurs fois passant de Brother/Sister à Everyone else is a stranger pour finalement s’intituler Love Streams. Après plusieurs représentations qui voient Jon Voight et Gena Rowlands dans les rôles principaux, Cassavetes entreprend des démarches pour en faire une adaptation au cinéma. Jon Voight se retire du projet quelques semaines avant le tournage, Cassavetes, atteint d’un cancer, se voit contraint de reprendre le rôle. Présenté au Festival de Berlin en février 1984, le film remporte l’Ours d’Or.

Avant-dernier film de John Cassavetes-réalisateur et dernier film de John Cassavetes-acteur, Love Streams possède un titre intraduisible : courants d’amour, flux, passages, torrents, circulations, méandres, autant de termes qui rendent compte maladroitement de ce qui est à l’œuvre dans ce film. S’il est traversé par de nombreuses référence aux œuvres antérieures de Cassavetes, il demeure singulier dans sa forme qui s’oppose aux précédents films : la caméra à l’épaule a laissé la place à des plans fixes et des travellings. Cassavetes semble davantage s’intéresser à la beauté plastique des plans, notamment dans toutes les scènes dans le cabaret. Cette fixité ou pétrification des plans rend bien compte de la solitude et du vide des deux personnages principaux. Cinéaste de la macération familiale ou communautaire, Cassavetes filme un homme, Robert Harmon, romancier, qui s’est affranchi de sa famille pour se consacrer à son art, et une femme, Sarah Lawson, sœur de Robert, en procédure de divorce, qui aime sa fille d’un amour si étouffant que celle-ci a décidé de vivre avec son père. Robert a abandonné son fils à sa naissance et, quand il le voit pour la première fois, le traite comme un adulte en le faisant boire et fumer. Sarah à force de vouloir regagner l’amour de son mari et de sa fille ne fait que les perdre davantage, comme dans cette scène pathétique où elle a disposé sur la table une panoplie de farces et attrapes et en fait la démonstration devant son mari et sa fille consternés.

Love Streams (c) D.R.
Le film est l’histoire de ce frère et cette sœur qui finissent par se retrouver, alors que le vide s’est fait peu à peu autour d’eux.

Ce qui frappe surtout dans Love Streams, c’est que Cassavetes-réalisateur ne cesse de filmer des escaliers dans lesquels Cassavetes-acteur ne cesse de tomber, de s’y faire mal, de s’y écrouler. Il s’effondre dans les escaliers qui permettent d’accéder à la maison d’une chanteuse de cabaret qu’il a suivi, ou tombe dans les escaliers et sous les coups du mari de son ancienne femme. Déjà, Faces (1968) se terminait sur une longue scène muette qui se déroulait dans les escaliers, à l’intérieur de la maison d’un couple déchiré. Ces escaliers dans Faces sont d’ailleurs les mêmes que ceux de la maison de Robert Harmon dans Love Streams, puisque les deux films ont été tournés dans la maison de Cassavetes, à Los Angeles. La figure matricielle de l’escalier correspondrait donc bien à ces love streams , c’est-à-dire ce qui à la fois permet et empêche, ce qui éloigne et ce qui rapproche, ce sur quoi l’on se blesse et ce qui permet la fuite ou le retour, ce qui rattache ou arrache l’individu au monde extérieur, autrement dit, pour Cassavetes, la famille, la fratrie.