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Dogville (c) D.R.

FESTIVAL DE CANNES 2003
Sélection Officielle

DOGVILLE
De Lars Von Trier

Par Philippe CHAPUIS


SYNOPSIS : Dans les années trente, des coups de feu retentissent un soir dans Dogville, une petite ville des Rocheuses. Grace, une belle femme terrifiée, monte en courant un chemin de montagne où elle fait la rencontre de Tom, un jeune habitant de la bourgade. Elle lui explique qu'elle est traquée par des gangsters et que sa vie est en danger. Encouragée par Tom, la population locale consent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler pour elle. Lorsqu'un avis de recherche est lancé contre la jeune femme, les habitants de Dogville s'estiment en droit d'exiger une compensation, vu le risque qu'ils courent à l'abriter. Mais la pauvre Grace garde en elle un secret fatal qui leur fera regretter leur geste...

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  Dogville (c) D.R.

En voyant Dogville, je n’ai pu m’empêcher de songer – un tel “ montage ” mental est d’ailleurs toujours assez mystérieux – qu’il me semblait répondre, ou en tout cas résonner avec un autre film, vieux de plus de trente ans, réalisé en Union Soviétique par un cinéaste important (qui fut par ailleurs le professeur de Tarkovski au VGIK), le Fascisme Ordinaire de Mikhaïl Romm (1967). Dans ce film, Romm explore la logique intérieure, la pensée quotidienne du comportement fasciste grâce à un examen attentif et critique des “ films d’actualités ” nazis. Loin de tout jugement global et attendu, il analyse de petits faits de la société nazie (le fonctionnement d’une école, l’architecture, la fabrication d’une version nationale en cuir pleine peau du Mein Kampf de Hitler, etc.) qui traduisent tout à la fois une manière d’être aux autres et à soi-même, des traits induits par une pratique sociale donnée (et dans une large mesure imposée par la force) mais prenant néanmoins fortement racine dans la psychologie individuelle de chacun. La force de ce film est ainsi de parvenir à suggérer avec finesse que le nazisme n’est pas seulement un phénomène historique (ce qui était la thèse officielle en URSS comme en Occident) mais qu’il réside de manière latente, potentielle, en tout être humain.

Cette idée n’est guère populaire ce qui explique tout autant la réserve embarrassée d’un festival de Cannes plutôt versé dans le consensus, que l’accueil très violent de la presse américaine - qui s’est cru, peut-être à tort, particulièrement visée. Et si Dogville est un grand film, sans doute le plus important de son auteur, c’est parce que Lars Von Trier parvient ici à inventer une forme originale qui lui permet de représenter très précisément cet enracinement de tendances fascisantes dans la psyché humaine, comme personne - pas même Brecht, pas même dans Arturo Ui - ne l’avait fait avant lui. Les multiples facettes de ce phénomène sont décrites avec minutie dans ce récit fleuve qui emprunte dans le ton au roman anglais du XVIIIème siècle (on pense à Fielding pour l’ironie incisive) et à son héritage picaresque. Le statut de Grace aux yeux des habitants lorsqu’elle débarque à Dogville est triple : c’est une étrangère (elle n’appartient pas à la communauté étroite du village), c’est une fugitive  (elle est donc dépendant du bon vouloir des habitants) et c’est une femme (donc rivale potentielle des femmes du village et objet de la convoitise des hommes).