SYNOPSIS : Dans
les années trente, des coups de feu retentissent un soir dans
Dogville, une petite ville des Rocheuses. Grace, une belle femme
terrifiée, monte en courant un chemin de montagne où elle fait
la rencontre de Tom, un jeune habitant de la bourgade. Elle
lui explique qu'elle est traquée par des gangsters et que sa
vie est en danger. Encouragée par Tom, la population locale
consent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler
pour elle. Lorsqu'un avis de recherche est lancé contre la jeune
femme, les habitants de Dogville s'estiment en droit d'exiger
une compensation, vu le risque qu'ils courent à l'abriter. Mais
la pauvre Grace garde en elle un secret fatal qui leur fera
regretter leur geste... |
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En voyant Dogville, je n’ai pu m’empêcher
de songer – un tel “ montage ” mental est d’ailleurs
toujours assez mystérieux – qu’il me semblait répondre, ou
en tout cas résonner avec un autre film, vieux de plus de
trente ans, réalisé en Union Soviétique par un cinéaste important
(qui fut par ailleurs le professeur de Tarkovski au VGIK),
le Fascisme Ordinaire de Mikhaïl Romm (1967). Dans
ce film, Romm explore la logique intérieure, la pensée quotidienne
du comportement fasciste grâce à un examen attentif et critique
des “ films d’actualités ” nazis. Loin de tout jugement
global et attendu, il analyse de petits faits de la société
nazie (le fonctionnement d’une école, l’architecture, la fabrication
d’une version nationale en cuir pleine peau du Mein
Kampf de Hitler, etc.) qui traduisent tout à la fois une
manière d’être aux autres et à soi-même, des traits induits
par une pratique sociale donnée (et dans une large mesure
imposée par la force) mais prenant néanmoins fortement racine
dans la psychologie individuelle de chacun. La force de ce
film est ainsi de parvenir à suggérer avec finesse que le
nazisme n’est pas seulement un phénomène historique (ce qui
était la thèse officielle en URSS comme en Occident) mais
qu’il réside de manière latente, potentielle, en tout être
humain.
Cette idée n’est guère populaire ce qui explique tout autant
la réserve embarrassée d’un festival de Cannes plutôt versé
dans le consensus, que l’accueil très violent de la presse
américaine - qui s’est cru, peut-être à tort, particulièrement
visée. Et si Dogville est un grand film, sans doute
le plus important de son auteur, c’est parce que Lars Von
Trier parvient ici à inventer une forme originale qui lui
permet de représenter très précisément cet enracinement de
tendances fascisantes dans la psyché humaine, comme personne
- pas même Brecht, pas même dans Arturo Ui -
ne l’avait fait avant lui. Les multiples facettes de ce phénomène
sont décrites avec minutie dans ce récit fleuve qui emprunte
dans le ton au roman anglais du XVIIIème siècle (on pense
à Fielding pour l’ironie incisive) et à son héritage picaresque.
Le statut de Grace aux yeux des habitants lorsqu’elle débarque
à Dogville est triple : c’est une étrangère (elle
n’appartient pas à la communauté étroite du village), c’est
une fugitive (elle est donc dépendant du bon vouloir
des habitants) et c’est une femme (donc rivale potentielle
des femmes du village et objet de la convoitise des hommes).
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