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Le petit univers respectif de ces deux auteurs, un jeune loup aux dents longues et un vieux renard édenté que tant de choses rapprochent aussi paradoxalement que cela puisse paraître a priori, repu d’un narcissisme qui les satisfait plus qu’il nous touche, ne saurait, avec tout le brio que l’on connaît chez Ozon ou qu’on a connu chez Blier, rivaliser avec la source la plus grande et inépuisable en imagination comme dirait Jean-Marie Straub, c’est-à-dire le réel. Du moins quand un ego surdimensionné, atrophié dans ses pauvres certitudes et victime de ce que Jacques Lacan nommait dans l’un des Ecrits (« D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose ») la « forclusion », consistant à ne pas symboliser ce qui aurait dû l’être, n’escamote pas ce même réel dont la non (Ozon qui n’en a que faire) ou alors biaisée (Blier qui fait semblant) prise en charge symbolique (la molle assomption de l’imaginaire s’y substituant) n’empêche jamais la résurgence, mais sur un mode ravageur. Le réel manque tragiquement dans ces deux films. Ou alors on tente de se débarrasser de ce poids – considéré à tort par eux – (de) mort avec les pires difficultés (un cadavre hitchcockien chez Ozon, une femme de ménage mourant d’un cancer quand son amant, un souteneur que l’on appelle du joli nom de « l’Arabe », est assassiné par les protagonistes chez Blier). Pire, c’est la démission maladive de sa prise en charge qui fait tout foirer dans des films aux bras ballants, ne sachant trop que faire de ce grand Absent qui les mine à mort.





François Ozon : Site officiel du réalisateur




1)
La première ayant inspiré à Claude Chabrol La Cérémonie en 1995, la troisième Le Cri du Hibou au même cinéaste en 1987 (sans même parler de Stranger on a train d’Alfred Hitchcock en 1951), et Ozon en a pris scolairement bonne note puisque son film semble être également inspiré par Les Biches (1968) du même Chabrol.

2) On espère gentiment qu’il n’y a aucun rapport de causalité à établir entre les deux motifs mentionnés, ou bien alors cela signifierait qu’Ozon avoue par la bande (ou alors inconsciemment) qu’il est un brin raciste, ce qui pourrait sembler après tout logique en fonction de cette phobie du réel ou de ce refus affiché de toute altérité qui trouve son contrepoint dans un univers anglo-saxon connu pour sa faible porosité, dans lequel plonge présentement le cinéaste et que nous sommes en train d’analyser.

3) Ce que le sociologue Maurice Halbwachs nommait « l’imaginaire collectif ».

4) Le modèle du genre pourrait être Suspicion (1941) d’Alfred Hitchcock. Etrange impression d’ailleurs que celle de se dire qu’Ozon, artiste décalcomaniaque et corseté dans ses calculs formels à faible intensité, semble avoir découvert fraîchement la veille les joies de la mise en abyme et des dédales de reflets de miroirs dans les miroirs.

5) Est-ce tout à fait un hasard si le tournage de ce film a été interrompu, Ozon calant sur la suite à donner à un récit dont forcément il ne savait rien à l’avance ?

6) Voir également le premier film de Bernard Rapp, Tiré à part (1996), moins modernisant, plus efficace, tout aussi faiblement passionnant.

7) In Ciné Journal, volume I, Petite Bibliothèque des Cahiers du Cinéma, 1998, p.78-83.

8) Tradition française à laquelle ont appartenu des écrivains tels Marcel Aymé, Georges Simenon (Blier appréciera le voisinage), et aujourd’hui Michel Houellebecq, le meilleur représentant pour le cinéma étant aujourd’hui avec Blier Claude Berri (qui a adapté Aymé avec Uranus en 1989), le patriarche de ce lignage étant Claude Autant-Lara (qui a pareillement adapté Aymé avec le fameux La Traversée de Paris en 1955), plus connu pour ses œuvres cinématographiques que pour son adhésion en fin de parcours au Front National.

9) Le personnage de Michel Bouquet paraît être celui des deux le plus pathétique, ressemblant à un croisement improbable entre François Mitterrand et un faune priapique et sautillant. On pense alors avec affection à Michel Piccoli dans Je rentre à la maison (2001) de Manoel de Oliveira dont le sujet, entre autres, était la dignité (dans la tenue d’une carrière de comédien par exemple). Plus Blier multiplie les ratages, plus son vieux rêve caché de réaliser son « Bouvard et Pécuchet » à lui s’éloigne à grandes enjambées.

10) « La conception [de Calmos] qui voudrait adopter les éléments du discours macho pour mieux en dénoncer les aberrations, ne manque pas d’audace. Mais le réalisateur se révèle si peu maître de son langage cinématographique que la vérité misogyne de son propos s’impose malgré tout » (Jean-Michel Frodon, L’Age moderne du cinéma français. De la Nouvelle Vague à nos jours, Flammarion, 1995, p.571). On verra que le constat que l’on tire de la vision des Côtelettes n’est peut-être pas si éloigné de celui tiré par Frodon, que la chose est aussi beaucoup plus grave.

11) Extrait : « Un moribond, ça sent pas bon ». Le film regorge de ce type de tristes truismes qui défie le sens critique.

12) Voir par exemple la tirade fameuse et significative de Jean-Pierre Léaud dans La Maman et la Putain (1974) de Jean Eustache sur les petits restaurants.

13) Ce qui devrait plaire à un critique du genre d’Alain Riou qui s’est plaint à France-Inter lors du tout récent palmarès du dernier Festival de Cannes d’avoir vu des films à ce point, nous citons, « manquer de sang et de chair ».

14) En ce sens, Gaspar Noé semble être le digne héritier de ce cinéma-là, avec comme horizon indépassable les diarrhées verbales et atrabilaires de Louis-Ferdinand Céline et pour antithèse (pour nous un contre-poison salutaire) la positivité vitaliste de Nietzsche (dégraissée de ses schèmes autoritaristes et hiérarchistes).

15) On pourrait reprendre, et le film nous y autorise grandement, le mot célèbre de Michel Ciment au sujet du premier film de Patrice Leconte, Les Vécés étaient fermés de l’intérieur (1975) : « Tirons la chasse ». Mais on ne le fera pas (rions un peu !) pour ne pas tirer sur une ambulance si mal en point.

16) « Les films de Blier sont comme des « compils », ces disques où l’on collectionne les morceaux les plus brillants d’œuvres musicales d’un genre ou d’un artiste. Les « compils » du vrai film de Bertrand Blier, qu’il ne fera jamais » (Jean-Michel Frodon, opus cité, p.698).

17) Les dispositifs apprêtés d’Ozon n’apparaissent-ils pas au final comme les héritières putatives des « puzzles sophistiqués » (Jean-Michel Frodon, op. cit., p.579) de Michel Deville ? Seul aujourd’hui un cinéaste tel Alain Resnais sait profiter du studio parce qu’il est préalablement un artiste-monteur et un expérimentateur de formes hétérogènes plutôt qu’un colleur d’affiches soucieux qu’elles soient suffisamment provocantes (mais pas trop quand même) et ainsi ajustées afin de racoler le plus grand nombre de spectateurs possible.

18) Voir à ce titre le beau livre d’Anne Gillain, François Truffaut, le secret perdu, Hatier, Paris, 1991.

19) Significativement, le personnage de Charlotte Rampling dans Swimming Pool zappe lorsque à la télévision on parle de mouvements sociaux. Dans Les Côtelettes, Blier part (comme souvent) sur les chapeaux de roue d’une dénonciation au vitriol du visage politique français (sur l’air de Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?) pour ne plus savoir qu’en faire après et tirer à vue sur tout ce qui bouge, ratant catastrophiquement toutes les cibles que l’auteur s’était données au départ.