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La Rivière de boue (c) D.R. LA RIVIERE DE BOUE
d’Oguri Kohei
Par Frank CARANETTI


SYNOPSIS Deux enfants, Nobuo et Kiichi, se lient d’amitié dans le Japon de l’après-guerre. L’un est fils de restaurateurs, l’autre vit sur une péniche avec sa grande sœur et leur mère prostituée. Leur complicité fera reparaître le spectre de la défaite du Japon Impérial, et l’amertume des parents.

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ANALYSE

  La Rivière de boue (c) D.R.

La Rivière de Boue symbolise à lui seul le passage du cinéma japonais à une nouvelle phase de son développement. Le film, sorti en 1981, tourné en noir et blanc et en 16mm, traite en apparence d’un sujet aujourd’hui épuisé par les grands auteurs nippons. Les blessures de la guerre, celles du Japon Impérial, que Kurosawa avait déjà évoqué dans Dodeskaden en 1970 d’après les nouvelles de Yamamoto Shugoro, et sur lesquelles revenait Kiju Yoshida récemment encore avec Femmes en Miroir (2003).

Il y a beaucoup de points communs entre La Rivière de Boue et Dodeskaden, dans l’emploi de la rivière comme frontière symbolique et comme métaphore, et la réfutation du passage du temps. Cette fois-ci pourtant, le personnage de l’« idiot » cher à Kurosawa, Rokuchan dans Dodeskaden, qui s’imagine descendre la grand rue aux commandes d’un tramway rêvé et joue innocemment au milieu des décombres, est définitivement absent. Rien ne vient donc alléger la noirceur du film d’Oguri, et le Rokuchan de Kurosawa ne trouve ici aucun équivalent, pas même dans la candeur des enfants.

La Rivière de boue (c) D.R.

Oguri Kohei naît en 1945, année de la capitulation. L’histoire qu’il raconte a peu à voir avec cette génération de cinéastes qui revenaient, eux, sur d’authentiques souvenirs de l’après-guerre. Aussi le film est une transposition du roman de Teru Miyamoto, et non une suite de souvenirs privés. On aurait tort en conséquence de lire La Rivière de Boue au premier degré, en jeu documentaire ou en exercice sur la mémoire. Comme Kurosawa avec Dodeskaden, Oguri Kohei s’empare d’un sujet « fermé » et délivre un film où chaque élément est personnel, où l’histoire du pays, traitée justement, dépasse la difficulté du simple compte-rendu historique, et de l’effet cathartique, pour assembler une œuvre d’une réelle singularité. Inutile donc d’attendre une description fidèle du Japon vaincu, la défaite est en effet rapidement ramenée à l’état d’anecdotes, de chants patriotiques pour la plupart oubliés, c’est-à-dire de signes déjà devenus illisibles pour la nouvelle génération qui n’a pas connu la guerre ; l’amertume est quant à elle bien réelle. Une scène montre le jeune Kiichi entonnant le chant des soldats partis pour la campagne de Mandchourie, sans véritablement en saisir le sens, c’est l’une des plus belles pièces du film.

La rivière qui sépare le restaurant de la famille de Nobuo de la péniche où vit Kiichi en compagnie de sa mère et de sa sœur ne prête pas à une lecture claire de la société japonaise de l’après-guerre. La mère de Kiichi qui, nous l’apprendrons plus tard au cours du film, se prostitue à l’arrière de la galère du bateau, n’a rien de commun avec les prostituées de Seijun Suzuki. Ni victime de la misère ou de la violence des hommes, ni, le détail a son importance, « occidentalisée », elle résume la complexité des personnages d’Oguri, et sa volonté de ne jamais offrir au spectateur une représentation univoque de son univers.