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  L'Homme qui dort (c) D.R.

C’est ici que s’arrête la comparaison avec le film de Kurosawa, humaniste et touché par la peine de ses contemporains, car dans La Rivière, la pauvreté n’est pas offerte à l’œil du spectateur afin d’en tirer un principe politique, ou pour se rapprocher du style documentaire - à la manière de Pluie Noire de Shohei Imamura. La mère de Kichii est une femme superbe, désirable, habillée à la japonaise et dans les vêtements traditionnels de son pays tandis que le sort a l’air de l’avoir entièrement épargné. Elle-même traduit la grande originalité d’Oguri, et son extraordinaire talent de cinéaste. Car La Rivière de Boue est une œuvre sans pitié, qui ne désigne jamais les caractères pour en tirer une quelconque fable morale. On est loin des films de « classes » qu’affectionnait Kurosawa. La famille de Nobuo, sans être véritablement aisée, ne fait pas partie de la nouvelle bourgeoisie qui émerge des décombres de la guerre, et le film évite tout bipolarisme clair ; la frontière, la ligne de fuite, se situe à un tout autre niveau, philosophique, métaphysique. La pauvre péniche n’a rien d’un navire capable d’affronter le large, dégradée, gonflée par l’eau de la rivière, c’est une vieille coque qui finira par quitter le port à la remorque d’un plus gros navire. Les deux familles vivent là comme capturées par leurs souvenirs de la guerre, non pas seulement dans l’amertume, mais dans une authentique douleur, ressentie physiquement dans l’absence du père, la faim qui tenaille les enfants, ou la vie misérable de la mère de Kiichi ramenée à l’existence de prisonnière, séparée du reste de la péniche par une cloison qui la coupe du regard de ses deux enfants.

C’est que les apparences dissimulent elles-mêmes d’autres nuances, plus complexes encore, et cette misère de la mère de Kiichi, montrée sans trace ni stigmate, simplement d’une beauté et d’une jeunesse éclatante, est bien le signe d’un ambitieux projet cinématographique, d’autant plus ambitieux que le cadre de La Rivière de Boue est très fortement limité. Les comédiens sont peu nombreux, comme le nombre de décors. L’action se situe sur une scène restreinte où seuls les quelques plans de la rivière rappellent au spectateur la présence, certes lointaine, d’Osaka et du reste de l’île. Ce film claustrophobe, forcément replié sur lui-même, s’ouvre paradoxalement à un espace d’une richesse étonnante, où les détails prennent de nouvelles proportions. C’est justement ce qu’on ne peut pas voir, et ce que la caméra est incapable de filmer et de mettre en scène qui est le vrai sujet du film. Ici la rivière polluée sert à emprisonner, à empêcher toute velléité de mouvement. Comme le passé des deux familles, celle-ci demeure sombre sous une surface égale, et abrite dans ses profondeurs une carpe d’une taille peu commune que les enfants interprètent comme un monstre fabuleux, capable de dévorer les Hommes. Le vieux pêcheur que Nobuo voit tomber à l’eau est rapidement oublié par l’œil du spectateur et par la narration, symbole du dérisoire de toute vie humaine. Il a finalement intégré la rivière, sa légende, et part rejoindre les créatures mystérieuses que les enfants imaginent. Ce n’est plus le port encombré où les bateaux se pressent pour décharger leurs marchandises, ce n’est plus un lieu d’escale pour les mariniers. Personne ne s’arrête ici que les quelques clients du restaurant en bord de grève. Le monde autour de la rivière s’est définitivement échappé du cycle du temps et du passage des saisons.

L'Homme qui dort (c) D.R.

Sorti sur les écrans à une période - les années 1980/1990 - où le cinéma japonais tente, non sans difficulté, de surmonter la crise économique et le déclin des Majors, La Rivière de Boue est tout autant tourné vers le passé du Japon, son âge d’or cinématographique - les années 1950 -, que vers la nouvelle génération d’auteurs - les années 1980. Avant la montée en puissance de grands cinéastes comme Kiyoshi Kurosawa, Sogo Ishii, Aoyama Shinji ou Takashi Miike, Oguri Kohei signait là un premier chef-d’œuvre qui mérite, plus de vingt ans plus tard, et suite aux difficultés que le cinéaste rencontre à financer ses films, tous ou presque des échecs commerciaux, d’être apprécié à sa juste valeur.



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1996
L' Homme qui dort avec Masako Yagi, Koji Yakusho
1993 Correspondance par l'image avec Slamer Rahardjo Djarot (docu)
1990 L'Aiguillon de la mort avec Keiko Matsuzaka, Ittoku Kishibe
1984 Pour Kayako
1981 La rivière de boue d’Oguri Kohei