De l’utilité d’un bon film de 1935, Le Mouchard ( The Informer),
édité en DVD par Montparnasse et les Cahiers du Cinéma, pour
remettre quelques pendules à l’heure (1) |
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Pour en finir avec le
soupçon d’un John Ford réactionnaire
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C’est tout ce qui, par exemple, sépare idéologiquement
The Informer de On The Waterfront d’Elia
Kazan. La délation perpétrée par Gypo (Victor MacLaglen) et
qui donne son impulsion au film ne tient pas lieu d’une conviction
politique justificatrice, comme c’est le cas pour le personnage
qu’incarne Marlon Brando, transfert thérapeutique pour Kazan
lui-même qui participa à l’établissement de la « liste
noire » maccarthyste et à la répudiation des « Dix
d’Hollywood » quand Ford de son côté s’est élevé contre
cela. Mais elle est bien au contraire le produit, à l’instar
du racisme d’Ethan Edward dans The Searchers, de tout
un climat social qui environne et modèle le personnage ainsi
que le sens et la portée de ses actes. Pour ce dernier, il
s’agissait de la fin de la guerre de Sécession, pour Gypo
l’occupation anglaise et catholique des « Black and Tan »
en pays protestant, l’Irlande, dans lequel s’est organisée
la résistance clandestine, l’IRA, depuis 1915 (l’action, classiquement
ramassée en un lieu unique, une rue sans joie de Dublin, se
déroule en 1922). Comment, alors, ne pas songer à la permanence
du conflit (dont l’un des épisodes les plus tragiques est
l’objet d’un film plus hyperréaliste qu’analytique et toujours
à l’affiche, Bloody Sunday de Paul Greengrass), mais
également à d’autres territoires occupés, à d’autres luttes
religieuses : la guerre israélo-palestinienne ?
D’où la facture expressionniste d’un film qui suinte à chaque
plan le malaise social et qui prouve à quel point le cinéaste
a pu être influencé durablement par des artistes tels Murnau
(Ford assista au tournage de Sunrise)
et surtout Lang (la scène du procès populaire avec appui décisif
d’un aveugle qui, s’il n’a plus ses pleines facultés visuelles,
sait tirer profit non de ses oreilles comme dans M.
le Maudit mais ici de ses mains). La virtuosité éclatante
du cinéaste, aidé en cela de son chef opérateur Joseph August,
sculptant de larges zones d’ombre et dirigeant le drapé descendant
de la lumière dans chaque plan, annonce déjà le traitement
plastique et nocturnal de Grapes of Wrath. Aujourd’hui,
s’il y a bien une œuvre qui peut se réclamer digne de ce type
de films sociaux tels qu’en ont réalisé Frank Borzage, William
Wellman et donc Ford dans les années 30 (et le film de
ce dernier eut une certaine répercussion au moment de la Dépression),
c’est bien L’Homme sans
passé d’Aki Kaurismäki.
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Il n’y a rien d’une quelconque ontologie
dans tout cela. Le racisme ou la délation sont des construits
sociaux qui enroulent autour du noyau structurant leur contradiction
(le corps de Gypo, douleur vivante, comme aurait dit Hegel),
l’objectif et le subjectif, le social et l’individuel, le
politique et l’existentiel, le « nous » et le « je »,
la raison et le désir. Jusqu’au vertige (l’emploi judicieux,
peut-être trop, des fondus et le jeu parfois outrancier de
l’acteur aussi imbibé que le personnage qu’il incarne). Jusque
dans la mort (la fin tragique de Gypo qui pourrait avoir suscité
quelque écho chez Abel Ferrara, notamment dans Bad Lieutenant).
La trahison ici n’est donc pas une fallacieuse émancipation
doublée d’une logique intégratrice et normalisatrice (le national
se substitue au politique, le pays à la classe), comme cela
est le cas chez Kazan, mais elle est chez Ford la part d’aliénation
concrète qui pousse un individu à faire le contraire de ce
qu’il sait être juste par ailleurs. Vouloir partir aux Etats-Unis
participe aussi de ce type de pratique-là, déchirante, invivable.
C’est parce que le réalisme de Ford l’empêche nettement de
sombrer dans les ornières du schématisme ou de l’idéalisme
qu’il n’est absolument pas réactionnaire. Contrairement à
Kazan, hier. Contrairement à Claude Berri (le rapport sexuel
subsumant le rapport de classe : La
Femme de ménage) ou Michel Blanc (la dépression supposée
empathique des dominants : Embrassez
qui vous voudrez) aujourd’hui.
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