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Joao Cesar Monteiro (c) D.R. JOAO CESAR MONTEIRO
Le cosmique burlesque
Fait à Lyon, le 12 février 2003
Par Saad CHAKALI


« La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magico-circonstancielle ou ne sera pas » 
André Breton, L’Amour fou (Gallimard, 1937, repris en Folio, p.26)

Les dieux du cinéma ne nous ont pas été bien cléments ces derniers temps : à peine un mois après la disparition de Maurice Pialat, c’est João Cesar Monteiro qui sort du champ. Mort, le cinéaste qui sut en un seul plan, celui concluant Souvenirs de la maison jaune en 1989, ressusciter simultanément le Von Stroheim de Foolish Wives et le Max Schreck de Nosferatu de Murnau et conséquemment nous terrifier de sa crâne audace fait à nouveau peur. Lui parti, et c’est le fascisme qui gagne du terrain : c’était déjà la fin sublime – du genre : « Qui m’aime me suive ! Et qui me hait fascise, qui me rejette pactise avec le fascisme ! » – du Bassin de J.W. en 1997. Et pourtant quand même cette certitude qui nous réjouit, qui nous fait tenir en vie : avec l’œuvre du plus grand cinéaste portugais après Manoel de Oliveira l’immortel (pour lui, on n’a définitivement plus peur !), au coude à coude avec Antonio Reis et Paulo Rocha, c’est la preuve faites films (on compte depuis 1965 une toute petite dizaine de longs métrages et autant de moyens et de courts métrages – autrement dit une œuvre immense quand on en connaît seulement que la moitié – que l’on brûle de pouvoir découvrir complètement un jour) que la beauté aura été déjà. Et qu’elle aura bien été selon l’espoir entendu de Breton convulsive.


  Le Pornographe (c) D.R.

Salué discrètement, le temps d’une séquence cinéphile, par le jeune et talentueux Bertrand Bonello dans Le Pornographe en 2001 (1), ce pornographe lisbonnais aux antécédents (le milieu de ses parents) anticléricaux et antisalazaristes a hissé si haut les voiles de l’écran gonflées des vents rares de l’extrême singularité que n’est pas permis à une foule avide de suiveurs et d’imitateurs, contrairement à ce qui s’est passé avec Jean-Luc Godard dont le cinéaste s’est par ailleurs réclamé, d’emprunter la voie unique de ses tortueuses avancées. Le premier titre de l’œuvre que Monteiro a monté non sans difficultés sur cinq années entre 1965 et 1970 le dit sans ambages : Qui court près les souliers d’un mort meurt nu-pieds. Ayant toujours fui les ors frelatés de la reconnaissance officielle (à moins seulement de pouvoir les pervertir : Monteiro dans son rôle favori de parasite/poil à gratter aura été celui qui chiennement dit au puissant de s’ôter de devant notre soleil ! (2)), le cinéaste portugais a préféré s’atteler à une tâche autrement plus urgente et pertinente. Celle de mettre en crise radicale, d’excéder les codes disciplinaires et justificateurs de la représentation comme de la fonctionnalité morale, matérielle et idéelle de notre monde. La fin des Noces de Dieu en 1999, en citant celle de Pickpocket de Robert Bresson, renseigne sur ce désir monteirien de fuir tout sentiment de claustration et toute situation d’assujettissement.

C’est le théâtre filmé comme tel de la domination, de l’exploitation et de l’asservissement que Monteiro via ses doublures double et met à sac. Il en est doublement et perversement le justicier vengeur et le monstre honni, une sorte d’ange exterminateur priapique traversé par l’utopie calvinesque du Baron perché, celui qui se plait à réinventer les propres modalités de son existence et du temps dont cette existence a besoin pour s’épancher. A la fois maître du temps et inféodé aux glandes comme dirait encore Cioran, Monteiro met notre monde littéralement sens dessus dessous. Le dérèglement des sens naguère désigné par un Rimbaud exalté par sa terrible découverte puis repris par le Pasolini de Théorème (3) est calmement retrouvé par ce démiurge de pacotille, ce faussaire de génie, cet homme « déterminé par une horreur testiculaire du ridicule d’être homme » (E.M. Cioran, op. cit., p.95). Où cela ? Sous les culottes clairsemées de quelques poils pubiens (que le cinéaste fétichiste et collectionneur nomme pensées) appartenant à de prosaïques jeunes filles, jamais aussi naïves qu’on pourrait le croire (l’une d’entre elles ne se nommait-elle pas dans Les Noces de Dieu Elena Gombrowicz ? (4) ). Il ne s’agit que de proposer un autre monde possible, entrevu dans l’œil torve du cinématographe et dans lequel vivre libre peut devenir réel dans l’exercice de la mise en faillite de toute censure, de toute servilité, de toute répression. C’est-à-dire de tout fascisme. D’où l’âne, mascotte du Bassin de J.W., que Monteiro sut rendre autonome du chef-d’œuvre bressonien Au hasard Balthazar : il est cet animal bâté qui prend des coups parce qu’il fait tout le contraire de ce qu’on lui demande de faire, avec quand même cette qualité d’avoir été fortement pourvu par la nature. Paradoxalement (mais c’est un paradoxe bien vite résolu) l’impuissance, alors que Monteiro n’a eu de cesse de dire qu’il bandait encore, appelle chez lui la démiurgie qui ne souffre d’aucun désir de reproduction puisqu’elle n’est que la modalité de sa propre volonté créatrice.