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Sam Peckinpah (c) D.R. SAM PECKINPAH
La nausée de Bloody Sam
Par Jean-Michel WINGERTSMANN


Sam Peckinpah est un cinéaste majeur ; de nombreux réalisateurs comme Martin Scorsese, John Woo ou John Carpenter, le considèrent comme leur père spirituel et revendiquent la filiation ; pourtant il est le grand absent au panthéon des cinéastes américains. Si le titre d’inventeur du « dirty western », parsemé de gun-fight apocalyptiques, lui est attribué, cette évocation est réductrice au vu de la valeur de sa filmographie et de l’influence qu’elle a exercée.

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  Le Gaucher (c) D.R.

Son œuvre s’inscrit dans une véritable comédie humaine métaphysique de l’Amérique et des américains, où y sont dévoilées les afflictions historiques de cette société : individualisme et violence exacerbée. La cruauté de ses héros ne s’exprime que parce qu’elle est le résultat du monde dont elle est l’héritière ; l’inhumanité qu’il retranscrit n’est que le produit des structures sociales de l’Amérique contemporaine. Afin d’assimiler totalement sa vision, une étude des personnages est nécessaire.

Le thème de prédilection de Peckinpah est celui des  « perdants »  face à la mutation d’une société qui aliène leur liberté. Dans ses six westerns, qui sont aussi ses six premiers films, il a exposé sa conception du cinéma et a façonné des personnages picaresques. Dans le western traditionnel, la figure principale est généralement celle du héros, qui est instinctivement du côté de la justice et du bon droit, prêt à défendre le parti des opprimés - le héros deviendra plus ambigu, de plus en plus indistinct du bad man, comme on le découvre chez Penn, mais aussi chez Anthony Mann, balayant peu à peu les stéréotypes des prémices du western. Sous les coups de feu de Bloody Sam, les poncifs du western classique vont entièrement voler en éclats. Avec le personnage de Billy the Kid, il renouvelle l’interprétation du rebelle romantique en décalage avec le truisme de la représentation de William Boney. Quant à Arthur Penn, dans Le Gaucher, il présente Billy the Kid comme un anti-héros suicidaire à la recherche de sa propre mort : « ni un ignoble tueur ou un sympathique hors la loi, Billy est un rebelle sans cause »(1). Paul Newman, en campant un délinquant juvénile névrosé, ambigu, détourne les canons du genre en amorçant une vraie révolution dans le traitement du hors-la-loi dans le western.

Penn, Fuller, Peckinpah, font partie des nouveaux cinéastes qui critiquent l’Amérique au travers de ses mythes et de ses clichés. Ce dernier expose une nouvelle vision du western, plus violente, dans laquelle il laisse place à une peinture naturaliste des États-Unis. Loin de constituer pour lui une nouvelle esthétique, cette brutalité lui permet de dénoncer les relents d’une Amérique contrainte par une violence convulsive. Ainsi, avec la bestialité extrême de la horde, son caractère misérable, ses tendances suicidaires, son absence de but existentiel, mais aussi avec l’interprétation de William Holden, qui apporte toute la profondeur au personnage emblématique de Pike Bishop, on commence à parler de western crépusculaire. La fin de The Wild Bunch (1969), avec une bataille sanglante de plus de trois cents morts, si elle dépeint l’effondrement d’un Ouest mythique, est surtout l’aboutissement d’une quête métaphysique. En démythifiant les traditionnels cow-boys de l’Ouest, la parabole du héros disparaît : « Mes héros sont des losers parce qu’ils sont battus d’avance, ce qui est l’un des éléments primordiaux de la vraie tragédie ».