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Cross of Iron (c) D.R.

Ses personnages, qu’ils appartiennent à l’univers des westerns ou à celui de la fiction, sont la rencontre géométrique de l’opiniâtreté et d’un individualisme exacerbé. Ils sont la plupart du temps de mauvais garçons, des rebelles, des produits d’une société violente, qui refusent tout bien-être social qui les priverait de leur propre dignité et de leur sens de l’honneur. L’individualisme est dichotomique : au sens noble du terme, il prend son essor dans la philosophie transcendantale du XIXe siècle, et permet une perpétuelle remise en cause, valorise l’individu et néglige la globalité sociale ; ainsi, dans Cross of Iron (1977), Steiner, un officier allemand, décide de désobéir aux ordres de son supérieur qui vont à l’encontre de ses convictions, c’est là son individualisme qui glorifie le libre choix. Le deuxième sens prend forme dans la société qu’il décrit, où la seule façon de survivre est, de  prime abord, de penser à soi. L’individualisme exacerbé se caractérise par le vol, l’obsession de l’argent qui sont le reflet des errances du monde contemporain. Toutefois, il reste élégiaque pour ceux qui vivent selon leur propre morale ; ses personnages, Pike Bishop, Bennie d’Alfredo Garcia (1974), Junior Bonner, sont complexes, contradictoires, désenchantés et perdus dans un monde en mouvement (1).

Les gestes de l’homme sont disséqués et mesurés par un auteur qui avoue : « je fais toujours passer les personnages avant l’action » (2), et les place devant certaines situations, pour étudier leurs comportements, leurs réactions, leurs évolutions, leurs désirs.

  The Wild Bunch (c) D.R.

Bloody Sam présente toujours un ou plusieurs individus centraux en proie à un grave dilemme moral, spirituel ou existentiel, dont la résolution va déterminer le reste de leur vie. C’est bien ici la quintessence du travail de Peckinpah. Ces anti-héros évoluent dans un microcosme où l’existence humaine ne vaut pas cher, et ils ont à un moment l’opportunité d’agir selon leur conscience. Comme le souligne François Causse à propos de l’engagement des hors-la-loi de The Wild Bunch : « l’engagement d’Angel souligne de surcroît la contradiction majeure de la horde : le comportement intéressé et immoral de ces criminels n’empêche pas l’affirmation d’une éthique ». Pour ces derniers, retourner chercher Angel marque le retour de la horde à une certaine intégrité morale, ils mettent ainsi leurs actes en conformité avec leurs paroles. La scène mythique où la horde marche vers le camp traduit bien cette prise de conscience qui s’effectue dans un ultime revirement surprenant. Ces hommes, obsédés par l’argent facile, prennent à un moment l’initiative de faire machine arrière pour se sacrifier par amitié : « Il faut qu’on reste ensemble. Si on abandonne ses amis, on n’est plus des hommes, on est comme des animaux ». Cette réplique de Bishop qualifie à merveille le héros Peckinpien. Indubitablement le dernier combat, s’il est toujours désintéressé, presque christique, va toujours à l’encontre de leur ‘capital culturel’. Ces personnages, plutôt mauvais, sont capables d’effectuer un geste désintéressé, gratuit. Dès lors, ils abandonnent leur syncrétisme idéologique pour adopter un but commun. Pour Sartre, le groupe incarne le projet historique libre, la praxis représente dans cette perspective un projet organisateur, commun, où les différentes consciences s’efforcent ensemble d’atteindre leur objectif. Ce projet collectif est synthétisé par le plan large du quatuor de The Wild Bunch qui s’avance vers le général Mapache.

La décision de tout abandonner, de donner sa vie, sous-tend aussi une lutte implacable contre un système oppressif. Ces personnages sont des héros condamnés, en butte à la corruption du monde. La violence est souvent associée à l’Etat, c’est un propos récurrent dans son œuvre ; l’oppression institutionnelle prend différentes formes, dans Ride the High Country (1961), pour rendre l’union caduque et dénouer cette terreur officielle, Gil Westrum se tient derrière le juge, le menace de mort pour qu’il déclare l’annulation du mariage. Pour les différents personnages, la révolte contre la tyrannie du pouvoir semble indissociable de leur esprit de sacrifice. Pourquoi Bennie choisit-il de mener jusqu’au bout la poursuite de la vérité ? Au moment où il a le choix de renoncer, il choisit de laisser s’exprimer sa fureur meurtrière ! Tuant ses commanditaires, remontant jusqu’au chef lui-même qui s’exclame : « Bring me the head of Alfredo Garcia ! ». Dans ces films, Peckinpah décortique la collusion du pouvoir politique et économique, et dénonce la corruption des représentants de la ploutocratie : despotes dépravés et suintants (The Wild Bunch), des êtres dégénérés (Bring me the Head of Alfredo Garcia), des représentants du gouvernement sans scrupule (Ride the High Country  & Pat Garrett).  Ainsi même l’homme qui terrassa Billy the Kid, s’oppose à la fin de sa vie au pouvoir du gouverneur en refusant de laisser les troupeaux paître sur ses terres, ce qui provoquera son assassinat.