Ainsi passe-t-on de la logique de consommation
à celle - plus politique - de mode de vie. Le sexe n’est plus
vécu comme un moment ponctuel où il s’agirait de consommer
le corps de l’autre, mais comme un moyen privilégié d’entretenir
avec l’autre ce qui semble avoir déserté le reste de la société.
C’est peut-être la logique de la dernière scène sur laquelle
s’achève le film. Shawn et Claude passent une après-midi ou
une journée entière en compagnie de Peaches. Ils se livrent
avec elle à une quantité de jeux sexuels. Ces jeux sont décrits
avec attention par la caméra qui scrute le moindre détail
avec un œil bienveillant. Avec cette scène, Larry Clark semble
bel et bien revenu aux utopies des années 60, lorsque le sexe
était avant tout un moyen de lutter contre la guerre et d’affirmer
d’une manière forte la nécessité de revenir à des valeurs
pacifistes. Les positions, dans cette dernière scène, se suivent
harmonieusement sur fond de musique 70’s. Il n’est pas nécessaire
de dire quoi que ce soit, tant l’image est éloquente :
les corps pour la première fois sont apaisés, jouissent puis
se reposent et jouissent de nouveau, reposés, profondément
conscients d’eux-mêmes - il règne entre eux une tendresse,
une volupté qui surgit de nulle part et vient clore le film
comme si se tenait sous nos yeux la solution à un problème
plus large et plus profond.
Contrairement au Shaft 2000 (bien prude
devant la caméra de John Singleton), le Shaft 1973
est encore " the black private dick who's a sex machine
with all the chicks ". Il le confirme dans ses paroles,
quand on lui demande s'il sait manier le bâton : "
Quand on s'appelle Shaft, on est toujours bon avec ce qui
est raide ". Passant aux actes, il déflore la
fille de l'émir, visite un bordel éthiopien
puis batifole avec la maîtresse nymphomane du méchant,
qui lui pose d'abord quelques questions utiles comme "
Quelle est la longueur de votre phallus, monsieur Shaft ?
", avant de le complimenter sur ses performances : "
Tu es le premier homme qui ait fait l'amour avec moi comme
un vrai homme doit le faire. " On ne peut évidemment
rester sérieux devant de telles scènes et c'est
ce qui rend ce film réjouissant.
Faut-il pour autant conclure
que Larry Clark, nostalgique, réinjecte dans son dernier film,
ses croyances d’antan. À vrai dire, le sexe ne peut avoir
aujourd’hui la signification qu’il avait à la fin des années
60 et au début des années 70. À cette époque, qu’on se situe
aux Etats-Unis ou en Europe, le sexe était conçu comme un
outil d’émancipation politique, un argument à part entière
dans le discours militant. Il faut songer à Théorème
de Pasolini pour bien mesurer la portée de cet argument et
surtout la place qu’on lui conférait dans l’entreprise révolutionnaire.
Aujourd’hui, le sexe à beau être au menu de chaque magazine,
il n’en est pas moins devenu une affaire privée. Ce que font
ces trois kids, ce n’est rien d’autre que recréer modestement
les possibilités d’une utopie. Cette dernière n’a plus l’ambition
de changer le monde, mais aspire au contraire à lui échapper.
Elle ignore le langage et fait primer le corps qui retrouve
soudainement une présence, une sérénité qu’il n’avait jusque-là
jamais eu. Ces corps nus qui se touchent et se regardent,
c’est la communauté refondée, la situation minimale à partir
de laquelle tout, de nouveau, peut recommencer.
 |
|
 |
|
2002
Ken park (co-réalisé avec Ed Lachman)
2001
Teenage Caveman (téléfilm)
2001
Bully
1998
Another day in paradise
1995
Kids
|
|
|