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Tarzan (c) D.R. LA COMPLAINTE DU NEGRE
SOUS LES LIANES

Par Gaël LE BELLEGO


Déjà très à l’aise en groom ou en cantinière, le Noir se voit confier par Hollywood un nouveau rôle de composition dans les «  Tarzan » de la MGM dès 1932 : chair à lions et à crocodiles. Un boubou, deux os dans le nez et quelques plumes font d’un figurant de la Louisiane un y’a bon sauvage. Planté dans sa fausse jungle, il devient l’incarnation révoltante du dédain américain pour l’Afrique.

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  Tarzan Escapes (c) D.R.

Tous les regards se tournent naturellement vers Tarzan, grand singe albinos, voltigeant de liane en liane. Ce corps laiteux, équarri presque, retient l’œil au point de plonger dans l’ombre le cuir tanné des indigènes. Animaux homochromiques, les voilà se fondre si bien dans l’épaisse toison équatoriale. Si bien que personne ne se souvient de la réduction dont ils sont victimes. Par le raccourci et la caricature, les responsables de ces films rabaissent une civilisation séculaire aux expressions simples de la sauvagerie et de l’hébétude. Le Noir est donc soit un cannibale aux penchants gloutons, soit un porteur servile, chevilles marquées par les fers de la sujétion.

La reconnaissance de la culture noire est pourtant manifeste depuis le début du siècle. La clarinette de Sidney Bechet ou les jambes effilées de Joséphine Baker exercent une fascination qui bouleverse l’échiquier de la musique et de la danse. L’Art Nègre souffle son mystère et inspire le mouvement cubiste. De nombreux ethnologues, Maurice Delafosse, Marcel Mauss ou Lucien Lévy-Bruhl, admettent l’identité forte d’une culture, et, par récognition, déterminent la grande notion d ’ « Africanisme ».

Banania (c) D.R.

Mais un tranquille engourdissement populaire ne s’annule pas en trois bravos. Depuis des siècles, chacun clame à qui veut l’entendre la supériorité de l’homme blanc. Comment, en un air de jazz et deux masques Dogons, raser le bourrage de crâne appliqué à tous ? Personne, dans les années 30, ne pouvait réellement s’émouvoir du sort réservé aux populations africaines représentées. La littérature faubourienne, la publicité, les cartes postales, les calendriers, concouraient avec le plus grand naturel à entretenir l’esprit du « Y’a bon Banania ». Infusé d’un tel poison idéologique, le spectateur moyen dérange sa contention, durant la projection, de quelques éclats de rire pendant les scènes où le fouet fait son travail. Le seau de popcorns entre les genoux, il se laisse glisser dans les crevasses de cette terre hostile. Il veut son quota de sexe et de sauvagerie, son assiettée de chimpanzés, de mygales et de méchants anthropophages. La fantaisie d’un plaidoyer viendrait troubler sa digestion.

Le succès de la série des Tarzan confirme la médiocre nécessité du public d’assister à un spectacle attendu, enfilant les poncifs comme des perles. Le dépaysement grossier est sans doute un miel qui adoucit les maladresses les plus obscènes, les racismes les plus ordinaires.

De Tarzan the ape man (Woody S. Van Dyke, 1932) à Tarzan’s secret treasure (Richard Thorpe, 1941) (1), le scénario suit à peu près toujours la même ligne : une expédition, composée de baroudeurs et de candides, traverse des territoires interdits, la convoitise au bout des fusils. Aveuglés par la cupidité, les prospecteurs finissent à deux mètres de la cocotte minute, prisonniers d’une tribu sanguinaire. Tarzan interviendra moins pour sauver les suppliciés que pour rétablir le calme dans sa jungle. Son héroïsme ne nous fera cependant pas oublier l’égrappage patient, monstrueux, pratiqué sur les porteurs, gentilles fourmis noires ne quittant leur faix qu’une fois les pieds et les mains bloqués dans l’étrier de la torture.