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Quels sont les rapports
entre l’explorateur et sa main d’œuvre ? Le premier jouit
avec cynisme de sa suzeraineté et officie le martinet à la
main. Les ordres claquent, l’autochtone, dispensé de s’exprimer,
est fonctionnel. L’échine arrondie comme une dossière, il
fusionne avec la caisse qu’il trimballe. Cette relation de
force rappelle les moins glorieuses pages du colonialisme.
Le cinéma américain, par le prisme de l’impérialisme britannique
(les personnages sont toujours anglais), spécule sur ces terres
à conquérir, ces béotiens à gouverner. Il n’a pas oublié les
exploits répressifs de Baden-Powell au Zimbabwe ou l’écrasement
des Derviches par le maréchal Kitchener à Omdurman. L’expansionnisme
américain s’évade par bulles rêveuses, coule dans un marbre
les conquêtes de Stanley. Piquer son drapeau étoilé dans un
nid de scorpions ou au centre d’un cratère lunaire participe
toujours à ce désir de faire sien l’indomestiqué. Le cinéma
en est le meilleur vecteur : dans une jungle de studio,
quelques aventuriers sans galons plantent ce bout de civilisation
dans une Afrique de maladies infectieuses et de prédation.
La mission civilisatrice
liée d’ordinaire à la colonisation est absente. Le paternalisme
ne joue que sur le mode de la gronderie. Il n’est jamais question
d’éducation, aucun instituteur ou Père missionnaire ne se
profile au hasard des bungalows. Le Blanc est un chef de camp
autocrate qui s’expirme à l’impératif. Le « Oui Bwana »
retentit alors comme un dévoué suffixe à chaque ordre. L’indigène
accepte les mains ouvertes l’infériorisation, la réduction
infantile. Il appartient à ce peuple-enfant qui, sans le volant
du colonisateur, flânerait, se hasarderait au jeu et à la
paresse. Lorsqu’à la lumière d’un feu de camp, la pampre de
porteurs murmure de longs chants mélancoliques le factionnaire
blanc vient souffler la chandelle et réprimande les auteurs
du désordre. La tolérance amusée s’est transformée en agacement.
Ces gorges nouées qui chantent, c’est déjà trop pour le maître.
Le XIXe siècle sortait grandi de l’abolition de l’esclavage.
Voilà que des fantasmes expansionnistes flottent dans tous
les esprits. Le député français Victor Schoelcher incarnait
à merveille cette perverse dualité : combattant farouche
de la traite des Noirs, il co-présida en fin de carrière un
Congrès colonial universel aux côtés du Général Faidherbe !
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La tendresse est feinte,
les paumes de main sont garnies de picots. Le spectateur vigilant
voit bien, dans Tarzan escapes (Richard Thorpe, 1936),
que la tapette amicale de Rita Parker (Benita Hume) sur la
petite tête crépue filant à côté d’elle est un moyen de tenir
écarté de ces guipures toute menace crasseuse. Elle arbitre
ses contacts et ses poignées de main avec la précaution d’un
écolier coquet manipulant son encrier. C’est un « fraternalisme »,
pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire, qui franchit les
haies par sauts de carpe. Les personnages blancs n’oublient
jamais les marches qu’ils descendent aux rares occasions de
contact direct. Il faut maintenir une rivière d’arrogance
entre le gouvernant et son esclave ; le ruisseau n’est
guéable qu’en cas de nécessité absolue. Le nègre n’existe
alors que pour répondre aux questions, devient un robinet
dont on tourne la clef au gré des confessions attendues.
On pense aux vieilles rengaines
sur l’inégalité des races. La pensée darwiniste, le déterminisme
biologique et la préférence naturelle remontent comme un fleuve
en crue. De vieilles taupes idéologiques repointent leur museau
terreux : l’encyclopédiste Charles de Linné, dans « Systema
Naturae », proposait un abrégé des profils raciaux plutôt
savoureux. Il décrivait ainsi l’Africain : « Noir,
indolent, de mœurs dissolues ; cheveux noirs, crépus ;
peau huileuse ; nez simien ; lèvres grosses ;
femmes ont le repli de la pudeur ; des mamelles pendantes ;
vagabond, paresseux, négligent ; s’enduit de graisse ;
est régi par l’arbitraire ». Dans les pliures des
plus brillants ouvrages se nichent, comme dans les fronces
d’un mouchoir brodé, quelque morve que l’on souhaiterait oublier…
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