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  Tarzan escapes (c) D.R.

En aplomb sur sa souple canne de bambou, le menton pointu de fierté, le chasseur blanc des Tarzan réveille les textes de Gobineau, la foi inégalitaire devisée sans complexe par une classe littéraire très estimable, d’Ernest Renan à Jules Ferry, de Pierre Larousse à Ernest Psichari. Dans Tarzan escapes encore, le chasseur blanc fustige ses indigènes, incapables de contrôler une panthère. « Mais non, idiots, pas comme ça ! », lance-t-il, sûr de sa force et de son catéchisme. Pourquoi s’en émouvoir ? Le grand chirurgien du XIXe Paul Broca avait établi la preuve, par l’observation comparative des cerveaux, de la supériorité intellectuelle du Blanc sur le Noir. La respectable Société d’Anthropologie de Paris, par la pesée et la dissection des cerveaux, prononçait également un palmarès des intelligences. Le point de vue est occidental, donc souverain…

Le trouble qu’éveillent ces films serait moins vif si les producteurs ne vaporisaient pas cette laque ethnographique, notamment durant les prologues et les scènes d’exposition. Une longue-vue est braquée sur l’Afrique et surprend la cruauté de ses lois. On y voit des clichés touristiques pareils aux vues kaléidoscopiques des visionneuses pour enfants. Une carte continentale en surimpression des génériques nous expose l’audace du pèlerinage. La musique mélange les barrissements des cuivres cadencés et le pas lourd des percussions. Aucun doute : le spectateur débarque sans préambule dans un lazaret perdu au cœur de l’Afrique menaçante, au centre d’une terre dont le Blanc n’a pas encore régulé les sillons.

Tarzan's Secret Treasure (c) D.R.

Un événement a lieu dans Tarzan’s secret treasure : la ville de Nairobi est citée. Enfin ! Pour la première fois, un repère géographique est lâché. Le continent n’était jusqu’à présent qu’une grande motte noire, sans frontière. La démarcation territoriale n’existait qu’à l’aune d’un masque mortuaire ou d’un symbole sagitté peint sur une roche.

L’épais toit feuillu formé par la végétation couvre tous les mystères. La production américaine solde de l’exotisme, répand ce que Claude Lévi-Strauss, dans « Tristes tropiques », juge comme du « folklore collectionnable ». Il faut flatter, par un bâclage minutieux, les curiosités les plus simples. La caméra est alors un trébuchet qui piège et fige des coutumes. Elle ne fixe que le sensationnel et, par ses omissions volontaires, prive une culture de sa substance. Où sont, au sein de cette communauté, les tisserands, les forgerons et les cultivateurs ? Nous assistons pantois, finalement, à des séquences décoratives où des danseurs s’ébrouent dans des singeries prétendument rituelles.

Dans Tarzan escapes, la caméra file sans s’arrêter sur deux figurantes intimidées, l’une tressant les cheveux de l’autre. Une scène aux relents éthologiques. Elles sont filmées comme deux babouins qui s’épouilleraient. Alain Ruscio rappelle l’ulcération que produit l’« Exotisme » sur Victor Segalen : « Avant tout, déblayer le terrain. Jeter par-dessus bord tout ce que contient de mésusé et de rance ce mot d’exotisme. Le dépouiller de tous ses oripeaux : le palmier et le chameau ; casque de colonial ; peaux noires et soleil jaune ; et du même coup se débarrasser de tous ceux qui l’employèrent avec une faconde niaise (…) » (2)