Tarzan the ape-man
nous gratifie d’une séquence de dix minutes au cours de laquelle
Jane Parker (Maureen O’Sullivan) au bras de son père (James
Parker / C. Aubrey Smith) défile le long de cette chenille
noire, immobile, prête à l’inspection. Nous évitons de peu
l’examen des musculatures, le contrôle dentaire et le palpé
génital.
Moineau stupide, Jane pépie
ineptie sur ineptie, s’amuse de tel dessin tribal ou flatte
la souplesse d’un contorsionniste. Il est vrai, pour sa défense,
qu’une véritable démonstration foraine a été organisée. Son
vieux père, patricien de la jungle, est censé connaître et
respecter cette tribu qui l’accueille. Il n’en a retenu pourtant
que les malices et, paterne, met en garde son oisillon contre
la férocité cachée derrière chaque bouclier.
Une fois encore, le jugement
précède l’étude. Malinowski, dans les mêmes moments, préconise
« l’observation participante », c’est-à-dire un
apprentissage de terrain. Il faut, selon lui, sacrifier ses
à-priori occidentaux. Michel Leiris, au cours de la célèbre
mission Dakar-Djibouti, en 1931, participe aux danses rituelles
et accepte d’être recouvert du sang d’un animal sacrifié en
Ethiopie. Jamais les prospecteurs de notre série ne frayent
avec les indigènes. Les campements sont soigneusement séparés.
Une tranchée virtuelle cloisonne les cultures et les ambitions.
D’ailleurs, si l’ivoire ou l’or sont des appâts qui guident
le trot des blancs, quelle aspiration motive leurs hommes
de peine ?
.jpg) |
|
|
|
Pilotées par le caporalisme
blanc, ces bonnes abeilles cirières traînent en cadence leurs
papattes dans la boue et la poussière. La raison ne discipline
pas leurs mouvements : Elles avancent, instinctives et
peureuses. Dans Tarzan escapes, les indigènes refusent
d’affronter le Mutia, cathédrale rocheuse que les sorciers
jugent taboue. Un fouetteur écume et allègue l’« instinct
naturel » ! Nous y voilà : le Noir et l’animal
sont si proches, de vrais camarades de jungle ! Lorsque
Jane, dans Tarzan finds a son (Richard Thorpe, 1939)
énumère les dangers zoologiques dont la forêt regorge, le
cannibale est cité entre le serpent et la hyène. Dans l’opus
précédent, Tarzan and his mate (Cedric Gibbons &
Jack Conway, 1934), notre héroïne a conservé quelques habitudes
du monde civilisé : délicat bain de pied dans un pédiluve
de luxe, puis couchage dans une cupule de dentelles et de
soie. Les Noirs se contentent d’une mare boueuse pour leur
toilette avant d’oublier leurs plaies à même le sol. Chacun
sa place : le cavalier à l’auberge, sa monture à l’écurie.
L’éditeur original d’Edgar
Rice Burrough, Thomas Metcalf, n’était pas davantage étouffé
par les scrupules. Il conseillait l’écrivain : « Vous
pourriez le [Tarzan] faire régner sur les indigènes et les
chefs de tribus. Peut-être pourriez-vous commencer par là,
et puis le faire passer des Noirs aux animaux et ainsi de
suite […]. Il me semble que ce serait bien meilleur et beaucoup
plus populaire » (3). L’ouverture
simultanée, en 1931, de l’Exposition coloniale et du zoo de
Vincennes entretinrent avec un effrayant cynisme ce type de
confusion.
|