Nous comprenons désormais
mieux l’odieux rabais exercé sur les valeurs des communautés
africaines représentées. Un catalogue de poncifs et de simplifications
ouvre ses pages. Arrêtons le signet sur quelques unes de celles
dont les idées bavent le plus.
Article 1 :
le Noir est indistinct. Il n’est pas notable ou
déshérité, forgeron ou potier, jeune ou vieux… C’est un nègre,
pareil aux centaines d’autres qui l’entourent. L’individualité
n’est pas prise en compte : une attitude de masse, globalisée,
donne toujours le mouvement. Les sentiments (la peur, la joie,
la colère…) et les comportements (la fuite, le cri, la sauvagerie…)
sont décrits à l’échelle du groupe. Lorsqu’un ordre gicle,
les porteurs se redressent machinalement, automatisés par
la servilité. La chenille processionnaire formée avance dans
les goulets du Mutia à une vitesse constante, sans que l’écart
entre chaque anneau noir ne réduise ou n’augmente, et rappelle
le défilé invariable des figurines en bois glissant sur les
rails des baraques à tirs dans les foires.
En face, les tribus guerrières
nous sont également présentées sous une forme agglomérée.
Les Gabonis (et jamais le Gaboni !) chargent et encerclent
le groupe imprudent. Une bête à 100 têtes, immobile et sans
âme, déglutit devant la proie encagée.
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Article 2 :
le Noir est un élément du décor. Il apporte, au
même titre que les huttes ou les peaux de bêtes appendues
et séchant au soleil, la nécessaire note de dépaysement. Il
apparaît au début de l’intrigue, nous sert de « panneau
de localisation », puis s’efface durant trois bobines
pour ne pas parasiter l’exposition complexe des émois et des
passions. Il reviendra à la toute fin incarner la primarité,
et, par sa cruauté, délacera les nœuds de l’histoire. Il était
temps : le spectateur, atteint de ptôsis, attendait ce
déchaînement naturel, cette sauvagerie qui le conforte dans
l’idée qu’il se fait de l’Afrique et de son primitivisme.
L’indigène-accessoire chemise le paysage, s’y fond naturellement.
La rumeur des tam-tam n’a pas attendu ses derniers échos que,
déjà, la menace invisible s’est abattue. Dans Tarzan the
ape-man, les Zubangas, farinés de peintures guerrières,
viennent et se volatilisent comme des fantômes. Ils font partie
intégrante de la forêt, bruissent et, par une gesticulation
permanente, semblent partout à la fois.
Article 3 :
Le Noir mérite son asservissement. Bien sûr, la
situation naît de fait, non de droit. La tradition coloniale
rayonne : sous ce soleil injuste, les sujets entretiennent
une très diplomatique relation sado-masochiste. Les lanières
du fouet cisaillent les chairs tendres dans un silence d’église.
Aucun accident n’est venu casser ce dos porteur, sans fierté.
Une discipline de toujours s’est instaurée : le spectateur
arrive longtemps après la domestication et observe les poses
naturelles du harnais et de la culière. Ainsi le nègre, qu’elk
en remercie le maître, sort de sa paresse consubstantielle.
La bastonnade conjure alors efficacement les drames de la
sieste et du loisir. Jamais de ligue ni de soulèvement ;
les paupières s’affaissent comme des pansements sur une plaie
admise. Nous sommes loin des cabrages et des résistances bien
réels observés dès le début du siècle, au sein des populations
colonisées !
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