Article 4 :
le Noir est une espèce inférieure. Rien de moins
rémissible que la débilité. Il est entendu que l’on juge souvent
débiles les choses qui nous échappent. James Clifford, dans
une étude remarquable, soulignait que « l’ethnographe
transforme les ambiguïtés et les sens multiples de la situation
de recherche en un portrait cohérent » (4),
avec la marge d’incompréhension que l’éloignement d’une culture
peut engendrer. (5) Dans nos films, rien
de tel : la différence est vécue comme une infériorité.
La voix du blanc l’ayant
toujours emporté de plusieurs décibels, c’est son modèle d’idéal
physique qui prévaut. La beauté est donc blanche, presque
diaphane. Le noir est au mieux un dégradé, au pire une sanction.
Eric Cheyvitz rappelle que le roman de Burrough, publié en
pleine chasteté victorienne, ne froissa aucune pudeur en évoquant
la nudité des négresses. (6) La couleur désexualise
une poitrine, le bombement d’une croupe n’inconvient pas plus
que le cul d’une guenon.
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Et que dire de leur allure ? !
Dans Tarzan the ape-man, Jane Parker, une ombrelle
à la main, disserte sur l’élégance des broussardes. S’adressant
à son père : « Oh tes jeunes clientes sont charmantes.
Je vois qu’elles ont fait de très belles emplettes ! ».
La taquinerie réduit à la fripe et la verroterie les attributs
d’une identité culturelle subtile. Elle conclura, la moue
penseuse, « les femmes souffrent pour être belles »,
à la vue des lippes percées de broches et de fibules. Par
une lente horizontale, la caméra explique les visages, exhibe
les dissonnances. Nous ne sommes plus très loin de l’anthropométrie
et de ces scientifiques qui glosaient sur l’origine du nez
camus ou de la bouche, pareille à « un mufle de bête ».(7)
La supériorité du Blanc
est aussi intellectuelle. La première moquerie concerne les
langues vernaculaires. Deux explorateurs soupirent, dans Tarzan
escapes : « Ils ne parlent donc aucune langue
connue ! Enfin… les indigènes arrivent toujours à se
comprendre ». Avec une immense théâtralité, l’homme
blanc détache un anglais souverain au-dessus de la cacophonie
dialectale.
À l’éclat diamantin des
mots succède celui des fusils. L’arme à feu tient la mort
de l’autre à distance. Il est aussi, dans la série des Tarzan,
l’appendice du modernisme le plus ferme. L’archaïsme des flèches
et des sagaies rebondit sans effet tandis que les balles fauchent
des épis entiers de cannibales. La couronne de myrte vissée
sur la tête, le blanc contemple ses cartons tout en laissant
naître en lui « un concept démodé d’honneur et de
fair-play, une admiration désuète pour une bravoure vaine ».(8)
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