Comme toujours, l’œil de
la caméra ne se rend curieux que de l’extravagant. Pire :
par la malignité de ses regards, il fausse le sens des choses
observées. Très facile alors d’accourcir le génie d’une culture :
on préfère nous montrer des moricauds effrayés par le mystère
d’un gramophone (9) plutôt qu’évoquer la
vaillance des chasseurs. Le point n’est fait, lors des scènes
rituelles, que sur l’écume des bouches et l’éclat des couteaux.
Le rite religieux n’est
jamais expliqué, contextualisé. Aucune justification n’introduit
les horribles sacrifices humains commis. Le spectateur assiste,
éberlué, à l’écartèlement des porteurs au milieu d’une mousse
noire joyeuse et hurlante (c’est au prix de cette sauvagerie
que le public mesure le confort occidental et le moelleux
de son fauteuil). A quelques mètres de l’abattoir, le cercle
des prisonniers blancs, calmes et dignes, attend son tour
dans une hutte cellulaire comme ces grosses poules de marché
agglutinées dans l’épinette. Dehors, les bras et les jambes
goudronneux fixés en croix cèdent et, par les formes de ce
sinistre dessin, rappellent les aiguilles d’un minuteur qui
avancent pour les Blancs. Le suspense n’est d’ailleurs maintenu
que pour ce petit groupe. La mort des Noirs n’est que la mesure
du danger, la température des risques. Le public d’avertis
ne peut oublier une séquence, parmi d’autres, illustrant si
bien l’indifférence accompagnant le décès indigène. Un porteur,
dans Tarzan escapes, grimpe sans broncher la montagne
sacrée par des couloirs impossibles. Le malheureux glisse
et, en rugissant, bascule dans le vide. Son corps rebondit
encore contre les lèvres gercées de la falaise que les deux
chefs d’expédition se jettent sur le fardeau abandonné afin
d’en éviter la chute. « Ouf ! Moins une… »
lance l’un des deux, le pouce vainqueur. Quelques paquets
de cartouche valent toujours mieux que la vie d’un homme…
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On en vient à oublier notre
grand singe albinos. Le Tarzan de Burrough, gendarme et conscience
de l’Afrique, connaît ici un fléchissement sous les plumes
mal taillées des scénaristes. L’aristocrate de la liane perd
son titre nobiliaire et sa majesté : place désormais
à un sauvage épilé de près, ne s’exprimant qu’au prix de courageux
efforts. Notre Tarzan est également brusque et un peu fripon ;
Jane, heureusement, sait contenir l’enfant dissipé par quelques
sermons.
Problème : on nous
laisse croire qu’il reste ce Dieu aérien, gouvernant des populations
de plaines et de poussière. Un cri suraigu suffit à obtenir,
par la crainte, la plus obéissante des vassalités.
On estime souvent le cœur
d’un peuple aux qualités de son coryphée. Précisément, il
faut être un peuple bien médiocre pour accepter une telle
obédience et plier face à ce Seigneur sans grâce…
Que voulez-vous, semblent
conclurent ces films, les nègres ont le culte facile !
Ils se prosternent, naturellement, dès que la main
à baiser est blanche.
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1) Les trois autres
films sont Tarzan and his mate, Tarzan escapes,
et Tarzan finds a son. Tarzan’s New-York
adventure (Richard Thorpe, 1942) est une œuvre
récréative, déplaçant son action au milieu des
buildings. Nous écartons ce dernier opus de l’étude.
2) in Le Credo
de l’homme blanc / Alain Ruscio.- Ed. Complexe,
1995. – pp.137-38.
3) Rapporté par Francis
Lacassin dans Tarzan.- Ed. Veyrier, 1982.
4) in Malaise
dans la culture : l’ethnographie, la littérature
et l’art au XXème siècle / James Clifford.- Ed.
ENSBA, 1996.- p.46.
5) Malinowski avouait
ne pas comprendre tout ce qu’il consignait dans
ses notes.
6) in The Poetics
of Imperialism : translation and colonization
from The Tempest to Tarzan / Eric Cheyvitz.- Oxford
University Press, 1991.
7) Nous devons la comparaison
à Elie Faure… Rapporté par Alain Ruscio.- Op.
cité, p.52.
8) Sven Lindqvist évoque
le sentiment du jeune Churchill à l’issue des
massacres d’Omdurman. in Exterminez toutes ces
brutes / Sven Lindqvist.- Le Serpent à Plumes,
1998.- p.88.
9) C’est le cas dans
Tarzan’s secret treasure.
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