Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
  Charlie Chaplin (c) D.R.

La surprise advient lorsque le ratage de l’enregistrement de la publicité pour le whisky s’avère être un succès phénoménal. Malgré lui, « l’acteur » Shahdov manque de s’étouffer en buvant cette boisson infecte. Et, cet accident du réel est pris comme gag, intention burlesque du « comédien » pour le public télévisuel. Il ne comprend plus rien, on ne lui demande plus de jouer mais d’être. De se vendre lui, naturel, tel qu’il est. L’accidentel devient norme. Le réel devient fiction, l’authenticité devient hypocrisie (jeu d’acteur, en grec), via un médium qui véhicule l’idéologie de la toute puissance d’un système de lecture sur un monde devenu système de signes Que semble nous dire Chaplin si ce n'est que tout cela se situe au-delà du vrai et du faux : simplement il n’y a plus d’original, plus de référentiel réel, c’est de la parole qui se réalise de par sa prolifération même : c’est l’art de rendre les choses vraies en affirmant qu’elles le sont. L’excès fait rire via le poste de télévision. Vengeance du peuple américain que de voir un roi détrôné faire le pitre sur le petit écran ? Son visage tordu de douleur, sa main au cou, en une vaine tentative d’appel d’air, s’affiche sur les grands boulevards de la ville. Il est devenu une star en s’étranglant en direct live. Le direct touche. L’absence supposée de médiation crée l’événement (c’est l’effet scoop). Les enchères montent, de 10 000 dollars, il va jusqu’à toucher dix fois plus. Pour vendre de quoi boire et manger (des produits sans saveur, nous indique le roi Shahdov, mais qu’importe : il ne s’agit pas de croire au produit, mais de croire à la publicité qui veut m’y faire croire). Il est devenu un homme-tronc sur-médiatisé, parce que existant par le flux télévisuel. Il est une image de, donc on peut la modifier pour l’ajuster au goût du marché. La jeune publicitaire ne manquera pas de souligner sa peau flasque lors d’une énième séance de photo. Tout comme ses dents déchaussées. La science au service du beau, le lisse de la télévision peut remédier aux défauts du temps. La télévision refoule le temps qui passe, seul l’instant compte. La télévision serait cet outil qui, outre le morcellement de l'homme (le devenir tronc de l'humanité) invente une temporalité de l'immédiat qui fonde un autre corps.

Charlie Chaplin (c) D.R.

S’introduire dans le régime télévisuel tel que le fait Shahdov, c’est, selon ce que semble nous indiquer Chaplin, disposer de l’homme dans une nouvelle idéologie de la technicité. Est-ce qu’un nouvel outil de représentation peut fabriquer de neuf ?

Changer les conditions de travail ? Inaugurer une humanité autre ? Le cinéma peut-il se réincarner dans la télévision ? Chaplin peut-il vivre sa résurrection en s’introduisant dans les canaux cathodiques ? Or, ce que nous voyons, c’est la mise en place d’un nouveau morcellement du temps et de l’humain. Cette nouvelle invention va créer un autre rapport au monde, prétendument plus direct, plus juste, selon le commentateur télévisuel. Cette technologie de transmission d’images animées et sonores permet à tout américain en possession d’un poste téléviseur (même en pleine mer) d’avoir accès au monde réel et ce directement.   Le cadre est soumis à deux lois : celui du désir (le suggérer pour le provoquer : voix langoureuse, usage de termes liés aux sensations, au bien-être, au corps), celui de l’oralité (ce ne sont que des visages parlant sans corps qui sont représentés débitant des mots irréels auxquels la télévision accorde tout son poids de légitimité). Si l’honnête homme peut savoir à tout instant ce qui se passe de par le monde, entrer en contact avec l’extérieur, la télévision peut aussi s’introduire dans votre intimité, être dans votre intérieur. Ça travaille tout le temps, telle une machine organique vocale (plusieurs scènes dans le film nous montrent - plutôt nous font entendre la télévision comme instrument audio avant le visuel) Elle joue l'unicité, la solitude et la proximité. Le temps aussi devient indifférent en télévision. De jour comme de nuit, elle est là. Comme la mort. Sauf qu'elle pare d'ubiquité l'être. À la fois présent, maintenant et pourtant non. Un leurre magnifique où Chaplin comprend bien ce que peut être ce médium pour l'acteur et quel spectateur nouveau il crée : le lieu de la séduction pour une emprise de l'autre. Et Chaplin nous parle en sachant qu'à ce moment où nous l'écoutons il sera mort depuis fort longtemps. Mais, il revit tel un spectre pour/par tous les écrans télévisuels du monde.  Si le cinéma a donné vie à Chaplin, la télévision peut lui donner la vie éternelle, tel un vampire de la nuit.

La reconnaissance et la valorisation sociale sont indexées à la publicité, l'injonction du vrai, du singulier façonne un totalitarisme de l'intime. L'être se dissout dans un rapport d'émission et de réception : suis-je bien là ? Me voyez-vous ? M’aimez-vous ? L'écran est devenu le lieu d'une succion de l'avoir-vu. Shahdov, en entrant dans cette fabrique d'immédiateté (impératif du direct, de la coexistence pacifique : une manière de tenir à équidistance l'un de l'autre), se dissout dans le grand corps du tout et n'importe quoi, au nom de la démocratie. Au nom de la sociabilité. Tout se vaut, il n'y a plus de critères. La sexualité est partout et l'érotisme nulle part. Tout, n'importe quand et n'importe comment. Pour le cinéaste, le monde est rentré dans la barbarie de la lâcheté et de l'abandon (le plus terrifiant est cet abandon de l'enfance qu'incarne Rupert). Non plus mourir de rire mais mourir de tristesse.

Chaplin cinéaste anti-nihiliste ?




Acheter ce livre ou DVD sur le site : Fnac
Acheter ce livre ou DVD sur le site : PriceMinister
Acheter ce livre ou DVD sur le site : Amazon
Acheter ce livre ou DVD sur le site : Librairie Lis-Voir