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L’entre deux fonctionne encore, toujours dans cet érotique
du travail. De fait, Chaplin avec Shahdov met l’obscénité
du côté de l’absence d’érotisation dans le travail. Quand
celui-ci automatise l’homme à des fins utilitaires, il provoque
non pas le rire mais le désarroi, car dans le monde du burlesque,
l’utilitarisme n’existe pas. L’objet tout comme l’humain -
qui s’objective dans le règne burlesque - ne sont plus bêtement
unitaires dans leurs fonctionnalités mais protéiformes dans
leurs usages. Le film burlesque sera celui qui aura le plus
gauchi l’objet. Si le mécanique plaqué sur du vivant fait
rire (Bergson), avec Chaplin la mécanique est toujours affaire
de morale politique (outre la poésie inhérente, licence sexuelle
le plus souvent). Car, se joue toujours pour lui, depuis son
premier film, la question de son identité. Mécaniser l’humain
mais à quel prix ? Peut-on faire avaler n’importe quoi
à un homme, lui dire « fais-ci, fais-ça » en le
payant très cher, sans porter atteinte et à son image (de
roi) et à son âme ? Soi inversé dans cette réflexion
que je vois est-ce encore moi ? Image - Ame : même
combat ?
Shahdov apparaît la première fois comme un pantin que son
peuple veut brûler pour l’avoir spolié - tout comme Charlot,
Shahdov est un voleur sauf que le premier le faisait par nécessité
vitale. Accueilli aux Etats-Unis comme roi déchu, il vient
pour proposer à ce peuple merveilleux qui respire l’air libre
( Shahdov : « I want to breathe this free air »)
sa solution pour un usage domestique du nucléaire. Or, c’est
à son image et à sa figure que le peuple américain s’intéresse.
Ce peuple existe par la télévision, elle constitue leur identité
tout en leur façonnant un rôle, une fonction et un usage,
exclusivement au service de ses propres intérêts. « Bonjour
Mesdames et Messieurs Amérique et tous les navires en mer »,
annonce le présentateur télévisuel qui est l’autre agent scénaristique
du film. Il ordonne le récit filmique à chaque niveau, il
distribue les rôles, donnant la cadence de chacun Son usage
est quasi omniscient, allant jusqu’à vampiriser le cadre cinéma
lorsque nous sommes, de spectateurs de cinéma, transformés,
à notre insu et in-visu en téléspectateurs.
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Il se retrouve désargenté après le vol dont à son tour il
est victime par son Premier ministre. Il accepte, après moult
refus, de faire l’acteur tout en étant roi pour la télévision.
À la fois poussé par la faim du ventre (fauché, il doit gagner
sa pitance) et du sexe (pouvoir approcher Miss Kay), Shahdov
se met à la tâche. Mais ce qui lui est demandé de faire
en tant que roi est contraire à ce qu’il fait dans la vie
de tous les jours. Boire du très mauvais whisky (Royale
Couronne Whisky…) à une heure matinale, porter une couronne
(ce qu’il refusera), sembler vivre dans un décor moyenâgeux
assez hideux… L’écart s’agrandit entre ce qu’il doit exécuter
et ce qui le constitue en tant que personne. Entre le faire
et l’être. Mais la logique de consommation - répondre aux
besoins toujours plus carnivores du public (à cet effet, Chaplin
filme une sortie nocturne du roi juste après sa prestation
télévisée, où il accepte, non sans un plaisir certain, la
nuée de gens quémandant des autographes) - va jusqu’à consommer
le Roi, devenu objet de sommation.
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