Charlot, lorsqu’il débarque sur scène,
amène avec lui le monde de la rue, la faim et le flic à ses
trousses. Dès lors, où se finit la vie et où commence le travail
de l’art ? Où se situe la frontière entre la scène et
la rue, le monde du travail et la vie ? Les spectateurs
apathiques devant les énièmes numéros de clowns qui ne les
font même pas rire exigent le retour immédiat du petit homme
« the funny man ». Or celui-ci incorpore
le monde clos du cirque et du spectacle à celui de la vie.
Une scène sublime nous le montre, à l’issu de son numéro de
funambule où il a raté sa sortie de scène, il débarque à vélo
dans une boutique, en sort et salue face à nous, en équilibre
précaire et tant bien que mal son public imaginaire, absenté
du plan. Le public c’est nous, celui invisible des salles
obscures et qui jamais ne pourra répondre en temps réel à
son salut. C’est aussi le public anonyme, de l’homme de la
rue, citoyen du monde quelle que soit sa langue car en 1928
le cinéma parlant faisait parler de lui Le chanteur de
jazz était déjà sorti sur les écrans américains.
Ce qui peut surprendre à la lecture
des mémoires du cinéaste Histoire de ma vie, publié
en 1964, est l’absence du film. Chaplin n’en dit mot, comme
s’il n’existait pas. Or il occupa deux ans de sa vie pour
sa création et production. Invisible durant quarante ans,
Chaplin décide de le ressortir en 1969, accompagnée d’une
nouvelle partition qu’il signa et d’une chanson mélancolique
de lui-même. Ce silence peut s’expliquer par les difficultés
qu’il connaissait à l’époque (un divorce traumatique avec
Lita Gray, mère de ses deux garçons Charles Junior et Sydney,
avec la crainte assurée de perdre le négatif du film saisi
par ses avocats qui voulait le ruiner) un mois entier de tournage
fut gâché par des rushes rayés, il a fallu tout recommencer,
le 28 septembre 1927, le feu se déclara sur le plateau endommageant
accessoires et décors du cirque.
Le film est souvent oublié, éclipsé
par ses autres succès tels La ruée vers l’or ou City
Light entre autres. Le Cirque est le 3ème long-métrage
après L’Opinion publique et La ruée vers L’or.
Or on pourrait dire que c’est à l’image de son personnage.
Où et qui est-t-il vraiment ? Cet automate qu’il joue
à être si véritablement que le flic, à ses trousses, ne reconnaît
pas comme humain ? Dans cette scène aux miroirs démultipliés
où il peur de son propre reflet ? S’il trouve sa place
au cirque c’est justement dans ce qui n’est pas la règle du
cirque : l’improvisation et le décalage. Répéter chaque
soir sa scène, c’est bon pour le théâtre et le cirque, pas
au cinéma qui serait comme ce lion en cage, un carnivore qui
a besoin de chair fraîche chaque jour. Et c’est l’amour qui
donnera le « la » du film, amenant notre héros jusqu’à
l’humiliation de perdre son pantalon en public.
La figure sacrificielle amorcée
avec le Kid, accentuée avec La ruée vers l’or, annonce
celle, radicale, des Lumières de la ville et de Limelight
où là encore, c’est l’histoire d’un ver de terre (ici le gag
de la pomme, là du ver chanté par Calvero, the little worm)
qui tombe amoureux d’une belle étoile. L’étoile qui ouvre
et ferme le récit, étoile de papier déchiré par l’écuyère
qui s’élance, étoile froissée en boule et balancée du pied
par Charlot, seul à nouveau au final, au milieu du tracé de
cercle du chapiteau parti. L’iris du cinéma se referme sur
cette silhouette de dos, cheminant la profondeur de champ,
son espace, celui du cinéma et nos espérances de vies prochaines.
Salut l’artiste !
Titre
original : The Circus Scénario et réalisation :
Charles Chaplin Directeur de la photographie :
Roland (Rollie) Totheroh. Cadre : Jack Wilson,
Mark Marlatt. Montage : Charles
Chaplin. Assistant metteur en scène :
Harry Crocker. Acteurs : Charles
Chaplin, Merna Kennedy, Allan Garcia, Harry Crocker,
Henry Bergman, George Davis, Steve Murphy, Stanley
Isanford Production : Chaplin-United
Artits. Producteur : Charles
chaplin. Tournage : 1926-1927.
Première mondiale :
6 janvier 1928. Musique : Charles
Chaplin (1969). Chanson : Swing
little girl Composée et interprétée par :
C. Chaplin (version sonorisée en 1969) Durée : 70 minutes.
Image : Noir et
blanc, Full Screen (Standard) - 1.33:1 Langue : Muet
BONUS:
La préface de David Robinson (en VO et vf - 26
min), Le documentaire "Chaplin aujourd'hui"
réalisé par François Ede avec Emir Kusturica (en
VO et vf - 26 min), La scène coupée : Chaplin
et l'écuyère hors du cirque (10 min), Du 7 au
13 octobre 1926 : le journal d'une semaine de
tournage du Cirque (27 min), Mountbatten home
movies : 3 films d'amateur réalisés par Lord Mountbatten
(6 min), La première à Hollywood (6 min), Caméra
A, caméra B : la même scène filmée sous 2 angles
différents (1 min), L'essai de cinéma en relief
par Roland Totheroh (2 min), "Circus Day"
avec Jackie Coogan (12 min), La bande-annonce
(5 min), La galerie de 180 photos : les images
du tournage, les séquences coupées, les dessins
préparatoires..., La galerie d'affiches et les
extraits des films de la Collection Chaplin (12
min)