Revenant sur cette scène de reconquête,
dans la chambre de Martha, on remarque sur la partie droite
d’un cadrage découvrant Henry s’asseyant pour retrouver ses
esprits, une petite poupée-danseuse. Or, comme cela est dit
au début du film, les “ danseuses ” sont source d’infidélité
conjugale. Cette poupée indique donc le sujet, non encore
évoqué dans le dialogue, de la séparation d’Henry et Martha.
Elle est cependant bien vite masquée dans le cadre par la
présence, au premier-plan, d’une Martha déjà toute reconquise.
Parallèlement, la statuette d’un jeune homme en bas d’un meuble
semble dire la position psychologique “ au plus bas ” d’Henry
(l’expression “ To be down ” possède ce même double sens en
anglais). Enfin, le bronze de femme faisant “ Au revoir ”
de ses bras, renvoie à la posture et à la gestuelle analogue
de la danseuse Peggy Nash, quelques instants plus tard. En
conséquence, ce bronze, en même temps qu’il annonce le retour
de Martha au sein du foyer conjugal, préfigure les futures
“ danseuses ” d’Henry. Mais, dans un mouvement inverse, la
gestuelle de la danseuse Peggy Nash, lors de son numéro de
ballet, est reprise et comme figée par un fondu-enchaîné en
le portrait de celle-ci, accroché dans le salon de l’appartement
où Henry vient tenter de la conquérir. La danseuse “ portraitisée
” n’est plus qu’une image, qu’une femme-portrait, pour un
Henry trop vieux. Son charme séducteur n’agit plus. La statue
en plâtre d’une femme nue, sous ce portrait, n’est plus qu’un
leurre, ou une fausse nouvelle. Et la poupée assise sur un
siège du salon, derrière Miss Nash, dans cette même attitude,
rappelle seulement celle de la chambre de jeune fille de Martha.
Enfin, on peut relever une autre association
qui est poursuivie tout au long du film : celle d’une lampe
représentant un angelot supportant de son bras un chandelier
à plusieurs branches. L’objet se trouve dans le fond du plan
où le jeune Albert Van Cleeve est aspergé par un verre d’eau
que lui verse sur la tête son oncle. Par métonymie, Albert
serait l’angelot, et les milles gouttes d’eau en gerbe sur
sa tête serait les multiples lampes des branches du chandelier.
En somme, cet angelot figurerait la première humiliation du
jeune cousin Albert. Par la suite, ce chandelier occupe le
fond de plan, auquel on accède viusellement par le surcadrage
d’un chambranle de porte, lorsque Martha pénètre à nouveau
dans le boudoir, où elle cède finalement aux assauts passionnés
d’Henry. Ici le chandelier peut renvoyer à un couin Albert
écoutant les chants de Miss Cooper Cooper, pendant que, à
son insu, s’opère sa seconde humiliation, l’enlèvement de
Martha. Lorsque Albert découvre que sa fiancée Martha s’est
sauvée avec Henry, il vient se placer sous l’angelot aux multiples
branches, signifiant ainsi, par un renvoi interne au film,
cette deuxième itération. Même si l’auteur a l’élégance de
ne pas filmer l’objet une fois encore, laissant sa partie
supérieure –celle des “ gouttes ”- hors-champ. Enfin, on peut
remarquer que lorsque Albert ramène Martha chez ses parents,
il s’est (pré)muni d’un parapluie. Un objet qui empêche les
gouttes de pluie, ou de verres d’eau, de tomber sur la tête.
Philippe Lubac
est réalisateur de courts métrages (Aujourd'hui,
plage, 1999, 35 mm, 15 minutes, Prix GRAC Rhône-Alpes
2001; L'âge de raison, 2001, 35 mm,
7 minutes (Prix Kieslowski 2001) et Suzanne,
2004, 35 mm, 22 minutes, en post-production). Il
est aussi lecteur / consultant de scénarios et auteur
de plusieurs analyses de films disponibles également
sur www.philippelubac.com