Mais, plus encore que la peinture,
c’est la parole, celle de Fiodor, qui est pour Arsinoé et
pour le couple tout un monde, le seul, en tout cas, que l’époux
veuille bien offrir. Simulacre du dehors, la parole est aussi
socle et principe organisateur du couple : Arsinoé, privée
de choses, est aussi privée de mots : de fait, elle parle
peu, en tout cas beaucoup moins que son mari. Mieux :
par la force des mots, elle n’a d’autre parole que celle de
Fiodor ni d’autre possibilité d’être que cette parole. Le
couple, qui partage un même alphabet mais pas la même langue,
parle en français, langue commune mais qui, pourtant, ne lui
appartient pas en propre. Ainsi, lorsque Fiodor et ses amis
s’expriment en russe, Arsinoé ne comprend qu’au travers de
l’époux - elle est, en tout sens, suspendue à ses lèvres.
Etrangère et pourtant familière, la langue cimente l’unité
du couple tout autant qu’elle l’isole de l’extérieur.
La langue et le monde
Le discours de Fiodor, c’est,
si l’on veut, le réel du film : on ignore tout de la
« réalité extérieure » du complot qu’il évoque.
Seule est donnée la réalité de récit que livre le supposé
espion. Mais, livrée à elle-même, la parole de Fiodor déplie
toute sa folle logique, jusqu’à constituer, proprement, le
seul espace dans lequel vont se mouvoir les deux personnages.
Du monde, je veux dire du réel matériel et non verbal, on
ne sait pas grand-chose et seules les images d’archives et
la lecture du journal L’Humanité semblent pouvoir accréditer
la matérialité d’un réel autre que verbal.
Je parle, donc tu es, jusque dans
tes symptômes : à ce titre, la scène de l’atelier de
couture est éloquente : Fiodor parle pour Arsinoé et
explique ses douleurs. La boulimie de la parole de Fiodor
est telle qu’elle tente même d’absorber en son sein les symptômes
d’Arsinoé. Mais un symptôme, ça signifie, ça tente, par ses
propres moyens, de dire. Le corps d’Arsinoé, c’est l’espace
réel où un discours tente de se faire jour. Arsinoé, dans
son mal, reprend la parole, confisquée jusqu’alors par son
époux. Elle meurt de ne pas se dire tout autant qu’elle essaye
de briser la folie de ce couple, celle d’une langue commune
qui remplacerait toute réalité. Rétif, le corps d’Arsinoé
tente donc de répondre au soliloque de Fiodor par le langage
de la maladie.
Mais bientôt, la disjonction entre le récit et le réel va
se faire jour aux yeux d’Arsinoé : une amie lui dit que
Fiodor est entré dans un ministère, à Berlin. Impossible,
réplique Arsinoé, ce jour-là, il était à Bruxelles. Mais l’amie
est formelle. Arsinoé questionne Fiodor : « je
ne t’ai pas dit ? » Manifestement, non. Et ne
pas dire, c’est ne pas être. Arsinoé fait la découverte, fatale,
du mensonge : les paroles ne coïncident pas avec
les actes, les mots, avec les choses. Dès lors, tout ne peut
que s’écrouler : les fondements langagiers sont sapés,
il ne reste plus pour Fiodor qu’à disparaître et pour Arsinoé,
à mourir. Tous deux auront fait l’expérience, difficile, d’un
discours qui vient se briser sur le réel. Face au monde, Fiodor
a joué les mots ; il a perdu, rattrapé par la réalité.
Et Arsinoé, qui ne sait pas que le corps peut être un lieu
dangereux pour l’exercice de la parole, meurt, le corps, précisément,
ruiné par son propre langage.
Titre
: Triple agent Acteurs : Katerina
Didaskalu, Serge Renko, Cyrielle Claire, Amanda
Langlet, Emmanuel Salinger Réalisateur
: Eric Rohmer Langues : Version
française en Dolby Digital 3.0 Sous-titres : Anglais
/ Portugais / Danois / Norvégien / Suédois
/ Finnois Sous-titres bonus :
Anglais / Portugais Format image : 1.33
l Ecran 4/3 Éditeur : Blaq
out Zone : zone 2 Durée : 110
mn
LES BONUS : Laffaire
Miller-Skobline (Entretien exclusif de 38 minutes
entre Nicolas Werth (historien, chercheur au
CNRS) et Irène Skobline (nièce
du général). Dans cet entretien
à la fois émouvant et instructif,
Irène Skobline raconte comment elle a
été amenée à sintéresser
à ce fait divers historique et, petit
à petit, à remettre en question
la thèse généralement admise
de la culpabilité de son oncle. Grâce
à la récente ouverture des archives
du KGB, Irène Skobline a acquis la certitude
que son oncle a été au centre
dune manipulation tendant à réduire
à néant linfluence du ROVS
(lancienne armée Blanche). Aux
commandes de cette manipulation : le Gouvernement
du Front Populaire et LUnion Soviétique
réunis !
2003 Triple
agent avec Serge Renko, Katerina Didaskalou 2001L'Anglaise et le Duc avec Lucy Russel, Jean-Claude
Dreyfus 1998Conte d'automne avec Béatrice Romand, Marie
Rivière 1995Conte d'été avec Melvil Poupaud, Amanda Langlet 1994
Les Rendez-vous de Paris avec Antoine Basler,
Serge Renko 1992L'Arbre, le maire et la médiatheque avec
A. Dombasle, F. Luchini 1991Conte d'hiver avec Charlotte Very, Herve
Furic 1989
Conte de printemps avec Anne Teyssedre, Florence
Darel 19874 Aventures de Reinette et Mirabelle avec
J. Miquel, J. Forde 1987L'Ami de mon amie avec Sophie Renoir, Emmanuelle
Chaulet 1986Le Rayon vert avec Marie Rivière, Béatrice
Romand 1984Les Nuits de la pleine lune avec Pascale
Ogier, Tchéky Karyo 1982
Le Beau Mariage avec André Dussollier, Béatrice
Romand 1982Pauline à la plage avec Arielle Dombasle,
Amanda Langlet 1980La Femme de l'aviateur avec Philippe Marlaud,
Marie Rivière 1978Perceval le Gallois avec Fabrice Luchini,
Arielle Dombasle 1976La Marquise d'O avec Edith Clever, Bruno
Ganz 1972
L'Amour l'après-midi avec Bernard Verley, Francoise
Verley 1970Le Genou de Claire avec Jean-Claude Brialy,
Laurence Monaghan 1969Ma nuit chez Maud avec Jean-Louis Trintignant,
Françoise Fabian 1967La Collectionneuse avec Patrick Bauchau,
Haydee Politoff 1965Paris vu par... avec Micheline Dax, Claude
Melki 1964Don Quichotte de Cervantes 1963La Carrière de Suzanne avec Catherine See,
Philippe Buzen 1962La Boulangère de Monceau avec Barbet Schroeder 1962Le Signe du lion avec Jess Hahn, Stéphane
Audran 1958Véronique et son cancre