Puisque Gus Van Sant fait lui-même
référence pour ce film à certains fondateurs du cinéma moderne
(notamment Tarkovski), il ne nous semble pas inutile d’évoquer
l’un des grands films d’Antonioni. Profession reporter
permet en effet de mieux saisir les enjeux d’échelle de plans
et la condition de ces deux personnages réduits à n’être que
des points glissants le long d’une ligne imaginaire. Gerry
parle d’un espace à la fois neutre et omnipotent, beau et
anonyme, qui n’obéit pas aux lois des espaces arraisonnés
par l’homme, mais dicte au contraire les siennes. Parcourir
cet espace implique d’abord que les personnages renoncent
à leur identité, à leur capacité à structurer l’espace en
tant que sujet. Leur regard n’est plus au centre du dispositif
puisque certains plans les décrivent à distance, noyés dans
les effluves du désert. Ils sont objets autant que sujets.
L’étendue désertique conduit ensuite Gus Van Sant à s’installer
dans la durée. En donnant du temps à ses plans, il les émancipe
de ce qui les entoure et leur confère ainsi une autonomie
salutaire tant sur le plan du sens – suspendu - que celui
de la forme - redécouverte. En somme, Gerry annonce
Elephant d’une manière radicale.
Outre ses indéniables qualités plastiques, Gerry incorpore
d’autres formes d’art que le cinéma à proprement parlé. Cela
se vérifie tout d’abord à propos du théâtre, notamment à l’occasion
d’un long plan fixe qui décrit à la manière de Beckett une
scène désolée dans laquelle deux personnages se font face,
l’un sur son rocher, l’autre à terre. Aux décors et cette
mise en scène très minimaliste, il faut ajouter une direction
d’acteurs toujours soucieuse de souligner la fatigue des corps,
au point de faire de l’underacting le principe de leur jeu.
L’ultime marche des deux hommes à l’aube, dans le désert de
sel est à cet égard représentative du jeu des acteurs, elle
l’est d’autant plus qu’elle s’apparente également à une chorégraphie.
Relevant tout à la fois du théâtre et de la danse, cette scène
n’est pas sans rappeler le théâtre - très en vogue aux Etats-Unis
- d’Anne Bogart. Cette dernière s’inspire en effet également,
dans les méthodes qu’elle édicte (cf. son ouvrage de référence,
Viewpoints), de la danse contemporaine. Au bout du
compte, la chorégraphie finale de Math Damon et Casey Affleck,
rappelle les mots d’Artaud, pour lequel le théâtre permet
« … la substitution à la poésie du langage, d’une
poésie dans l’espace qui se résoudra justement dans le domaine
de ce qui n’appartient pas strictement aux mots. »
(cf. La mise en scène et la métaphysique in Le théâtre
et son double.). Si Gerry prend pour objet quelque
chose qui ne parle pas, il tire sa poésie d’autre chose, qui
est de l’ordre de la contemplation et du mouvement minimal.
2004Last days
avec Michael Pitt, Lukas Haas 2003Elephant avec Alex Frost, John Robinson 2002Gerry avec Casey Affleck, Matt Damon 2000A la rencontre de Forrester avec Sean Connery,
Rob Brown 1998Psycho avec Viggo Mortensen, William H. Macy 1997Will hunting / Good will hunting avec Matt
Damon, Robin Williams 1996Ballad of the Skeletons 1995Prête à tout / To Die For avec Nicole Kidman,
Matt Dillon 1993Even
cowgirls get the blues
avec John Hurt, Angie Dickinson 1991My Own Private Idaho avec River Phoenix,
Keanu Reeves 1989Drugstore cowboy avec Matt Dillon, Kelly
Lynch 1987
Five Ways to kill yourself 1987My new friend 1985Mala noche avec Doug Cooeyate, Ray Monge