Soit la séquence est vue par un oeil halluciné,
soit c'est un avertissement. Ce paysage idyllique n'est que
le paravent d'un monde parallèle. Bientôt la caméra endoscope
s'enfoncera dans le gazon pour faire découvrir en très gros
plan une armada d'affreux insectes, jusqu'alors invisibles
-mais pourtant présents.
Mais avant, intervient la "moelle" même du film
de David Lynch: le conflit oedipien. Nous allons assister
à la "mise à mort" du père, de sa figure éternelle
dans le cinéma occidental contemporain: un homme bien en chair
arrosant nonchalamment le jardin pendant que la mère regarde
un vieux polar à la télévision en sirotant une tasse de thé,
dans une gentille banlieue américaine.
La mise à mort est orchestrée comme un thriller, en jouant
sur les rythmes de montage (plans de plus en plus rapides),
le hors-champ. Ainsi, l'idée de mort est annoncée par le plan
du téléviseur qui diffuse un film où un pistolet en gros plan,
tenu par une main gantée anonyme, avance dans le cadre TV
qui se confond avec l'image/cadre cinéma. Nous raccordons
avec M. Beaumont (le père) qui arrose son jardin, puis nous
retrouvons le pistolet décrit plus haut sous la forme transfigurée
d'un robinet de jardin en très gros plan (mais l'analogie
visuelle est marquante) qui est d'autant plus inquiétant qu'il
produit le premier des très rares sons "IN" de cette
séquence d'introduction -un bruit sourd. Puis ce sera une
alternance de trois plans ("robinet-pistolet"/Beaumont/tuyau
d'arrosage) jusqu'au moment où l'arroseur est "frappé"
par son attaque cérébrale. Tout laisse croire que c'est le
robinet qui a touché le père, vu le combat que se livraient
M.Beaumont et le tuyau d'arrosage empêtré dans les rosiers.
Ici, Lynch persévère dans son entreprise
de dramatisation de l'image. On pourra comparer les flots
d'eau déversés, au ralenti, par le tuyau d'arrosage, à des
jaillissements de sang provenant du cou (là même où le père
semble touché... ). C'est alors que le chien fidèle et le
bébé qui s'amusaient dans quelque recoin du jardin, viennent
jouer sur son corps à l'agonie. Il parait incapable de se
défendre ni d'appeler à l'aide -il éructe des borborygmes.
C'est une scène qui pourtant rayonne de joie et de lumière.
Lynch profite de nôtre bonne "humeur"
pour nous entraîner vers un autre voyage à travers une forêt
quasi-amazonienne de brins d'herbe: l'infiniment petit se
transforme en infiniment grand. De même, les cancrelats apparaissent
comme de gigantesques et immondes monstres qui semblent se
livrer à quelque festin suggéré par la bande-son des plus
inintelligibles. Là encore, un différent point de vue de la
caméra révèle quelque chose de caché.
La caméra "terroriste" de Lynch maltraite le spectateur,
lui impose des points de vue inhabituels, joue avec sa perception
de la réalité (les sons, le temps, l'espace). Il existe différents
types de perception des mondes et il suffit de peu pour dépasser
certaines barrières, comme ces palissades immaculées qui,
en gros plan et en contre-plongée, créaient une étrange sensation
de "claustration en plein air", connotant quelque
chose de caché... à dévoiler: ces horribles scènes primitives
qui se déroulent derrières des façades honorables. Dans la
pénombre d'une chambre certains ébats doivent sembler, à l’œil
innocent, aussi maléfiques et sordides que ce grouillement
de cancrelats final. Nous venons d'exposer ici le "temps
gluant" qui organise ce cinéma des organes.
« Blue Velvet a inauguré
pour David Lynch une série de films « à énigme », qui aboutit
au récent et non moins mystérieux Mulholland Drive (2001),
en passant par Twin Peaks (1991) et Lost Highway (1996). Le
film, à mi-chemin du conte de fées populaire et de l’art contemporain,
fait coexister deux mondes parallèles qui associent à l’Amérique
deux images radicalement opposées : celle d’une province peuplée
de jeunes gens sains, de bons policiers et d’honnêtes commerçants,
et celle, sombre et râpeuse de la drogue, de la folie, de
la violence et de la perversion. » Hervé
Joubert-Laurencin
Titre
:
Blue Velvet Réalisateur :
David Lynch Musique :Angelo Badalamenti et David
Lynch
Acteurs :Isabella
Rossellini, Kyle MacLachlan, Dennis Hopper, Laura
Dern, Hope Lange, Dean Stockwell, George Dickerson,
Priscilla Pointer , Frances Bay, Jack Harvey,
Ken Stovitz, Brad Dourif, Jack Nance , J. Michael
Hunter Son :Alan
R. Splet, Ann Kroeber Maquilllage :Jeff Goodwin
Effects speciaux :Greg
Hull, George Hill
Directeur de la photographie :Frederick
Elmes
Costumière :Gloria
Laughride
Maquilleur :Dean
Gates
Directeur du casting :Johanna
Ray
Script :Rina
Sternfeld-Allon Monteur :
Duwayne Dunham Production :De Laurentiis Entertainment
Group Production : Fred
C. Caruso, Richard Roth Durée :120
minutes Année : 1986
Pays :USA