Chez David Lynch, l'osmose du corps (de
la fiction) dans les décors (de l'action), suggère une représentation
des corps qui s'oublie en faveur d'un grossissement symbolique
du discours.
La disparition de corps, en faveur d'une vision "organisante"
du décor trouve son aboutissement dans le générique et la
scène d'ouverture de Blue Velvet. En guère plus de
3 minutes, Lynch résume son esthétique en l'un de ses thèmes
de prédilection : le mimétisme corps/décor et dévoile des
secrets enfouis dans l'"inconscient" tels que des
complexes psychologiques (Oedipe).
Le générique représente un lourd
rideau de velours bleu (traduction de blue velvet)
sur lequel viennent s'inscrire les incrustations du générique.
C'est en très gros plan qu'est filmé le mystérieux rideau,
comme il est de règle chez David Lynch, ce qui le charge de
reflets mystérieux. De plus, il est mû par un souffle étrange
(effet de ralenti) qui le rend palpitant -presque organique
comme une muqueuse bleue (extra-terrestre ou maladive) mais
certainement gorgée de sève, d'un fluide. La musique "cyclique",
fermée sur elle-même, composée par Angelo Baladamenti modelée
sur du Chostakovitch (la Symphonie n°15) restitue également
l'idée d'un "organe" palpitant, et donc d'intériorité.
La musique cyclique d'Angelo Baladamenti s'oppose à l'air
enjoué de Bobby Vinton: "Blue Velvet" qui au delà
de la continuité de temps qu'il constitue, évoque aussi une
époque (les années 50) où tout allait pour le mieux.
Pourtant une "présence", un
danger rôde.
Bien sûr, il serait possible d'analyser
plus simplement la même séquence pour arriver à un résultat
semblable: ce n'est qu' une "draperie d'une somptuosité
italienne, au romantisme en décomposition qui n'est pas sans
rappeler l'univers d'un Visconti".(1).
Suit alors une série de "vignettes", que l'on retrouvera
à la fin du film, afin de boucler la structure cyclique de
Blue Velvet. A cet instant débute la lancinante chanson
éponyme qui "enrobe" ces images, en occultant totalement
les sons extérieurs.
Ce segment de quatre vignettes, constitue une bien étrange
composition: un ciel extraordinairement bleu et clair laisse,
peu à peu, place à un parterre de roses écarlates rouge contrastant
violemment avec des piquets, plantés bien haut, d'un blanc
immaculé. On enchaîne alors sur un camion de pompiers, rouge
pimpant, roulant tranquillement (au ralenti) et dont un des
occupants accroché à une échelle prend le temps de faire signe
au spectateur/caméra. De nouveau, nous retrouvons les mêmes
piquets blancs, mais cette fois ce sont des jonquilles jaunes
qui s'agitent au gré du vent (au ralenti) à un passage protégé.
A première vue, la séquence d'ouverture trace en quelques
plans le portrait tranquille d'une petite communauté des U.S.A,
archétype des souvenirs d'enfance (d'ailleurs les plans sont
en contre-plongée, comme une vision d'enfant). Mais ces images
sont suspectes... car plastiquement irréelles. Comme le velours,
tout devient organique: les roses et les jonquilles s'agitent
comme si elles discutaient passionnément ou même se battaient.
Quant au camion de pompiers, plus qu'un souvenir nostalgique,
c'est un animal qui "fait corps" avec son occupant
qui semble greffé et salue à une vitesse aussi anormale (c.f.
ralenti) que l'allure du camion. Pour ce qui est du groupe
d'écoliers, c'est une grappe humaine qui ne répond qu'aux
injonctions d'un agent de la circulation, à une cadence de
métronome.