Comme la caméra qui en quelques minutes
est passée de la vue sur la ville en surface à la profondeur
noire et grouillante de vermine, le film explore les tréfonds
de l’humain. Panneaux publicitaires, façades anonymes, portes
d’appartement, rideau d’hôpital ou tenture de velours bleu :
autant de surfaces, d’apparences et de clichés que Lynch s’emploie
à traverser pour découvrir la véritable nature des choses.
Et la découverte que font les personnages est que le monde
est multiple, toujours ambivalent, chaque élément possède
une série de répliques situées à des degrés divers sur l’échelle
du bien eu du mal. Ainsi, deux figures paternelles peuvent
remplacer le père de Jeffrey : le détective Williams
en bon père de famille, Franck le mal incarné. Il en est de
même pour les lieux : la chambre de poupée de Sandy a
pour pendant l’appartement de Dorothy, véritable scène-loge
de théâtre – Dorothy, Jeffrey puis Franck tour à tour s’y
déshabillent, ôtent une perruque, chacun s’y expose et dévoile
sa véritable nature, c’est le lieu de toutes les révélations.
La structure de Blue Velvet s’apparente à celle du
conte, ce qui explique qu’on y trouve autant de thèmes liés
à la psychanalyse, au roman d’apprentissage, à l’aventure
initiatique : rapports à l’autorité parentale, meurtre
du père, découverte de la sexualité, de la ligne de partage
entre le bien et le mal, etc. Ce qui en fait un film saturé
de signes, qui invite d’emblée à l’analyse. Qu’est-ce qui
nous anime ? demande Lynch, comme nous nous demandons
ce qui agite le rideau rouge chez Dorothy [2]. Réponse :
les pulsions enfouies qui ne demandent qu’à être libérées.
En fin de compte, le véritable devenir-adulte consistera pour
les personnages à passer les limites et à en revenir, à faire
l’expérience des multiples facettes pour admettre que la marche
du monde repose précisément sur son hétérogénéité. Et de fait,
de quoi se nourrit le rouge-gorge porteur d’amour ? De
cafards, évidemment !
1) David
Lynch, Entretiens avec Chris Rodley, 1997,
tr. Serge Grünberg, Paris, Cahiers du cinéma, 1998.
2) On
pense aux eaux-fortes La Fenêtre ouverte
(1915-18) et Vent du soir (1921) du peintre
américain Edward Hopper (1882-1967), une grande
influence pour l’esthétique de Lynch
2001Mulholland Drive avec Laura Elena Harring,
Naomi Watts 1998
Une histoire vraie / The Straight Story avec
Harry Dean Stanton 1997Lost highway avec Bill Pullman, Patricia
Arquette 1991Twin Peaks avec Sheryl Lee, Ray Wise 1990
Sailor et Lula / Wild at heart avec Nicolas
Cage, Laura Dern 1986Blue velvet avec Kyle MacLachlan, Isabella
Rossellini 1984Dune avec Kyle MacLachlan, Francesca Annis 1980Elephant Man / The Elephant Man avec John
Hurt, Anthony Hopkins 1976Eraserhead / Labirynth man avec Jack Nance,
Charlotte Stewart