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L’esprit est un détective

Blue Velvet (c) D.R.

Le film est intéressant pour aborder l’univers de Lynch : l’ensemble des obsessions sont là, dans le cadre d’un schéma narratif encore linéaire, ce qui sera de moins en moins le cas par la suite. Le rapport au spectateur repose largement ici sur le processus d’identification, dans une veine hitchcockienne fondée sur le suspense. Triple hommage à Hitchcock ici : Fenêtre sur cour (1954) pour la projection de fantasmes sur ses voisins, le prénom Jeffrey qui rappelle le photographe Jeffries, et le recours à l’appareil photographique ; La Mort aux trousses (1959) pour Lincoln Street et l’oreille géante alors qu’Hitchcock voulait appeler son film The Man on Lincoln Nose ; Psychose (1960) pour le voyeurisme et le couteau de cuisine. Ces quelques éléments sont loin d’être exhaustifs, la liste pourrait être bien plus longue… Et comme souvent chez Hitchcock, sous l’enquête policière rocambolesque se dissimule une entreprise de séduction. À partir de Twin Peaks, Lynch livrera des narrations trouées, invitant le spectateur à compléter les manques. On peut y voir une nouvelle étape dans l’identification. Tout comme James Stewart dans Fenêtre sur cour, Jeffrey qui mène sa propre enquête incarne en quelque sorte le spectateur. Et pour Lynch, c’est “ l’esprit [qui] est un détective, il assemble les fragments et en vient à une conclusion. ”


Questions de logique

La séquence d’ouverture est riche de sens et donne beaucoup des thèmes que le film va développer. Au départ, la représentation tranquille et réconfortante de la ville américaine. Mais très rapidement, une série de dérèglements vient rompre la logique du quotidien. Les relations de cause à effet semblent aberrantes, les motifs pris dans une logique d’échange absurde : un camion de pompier/un tuyau d’arrosage transformé en lance à incendie, qui de surcroît désigne un sexe en érection ; un dalmatien sur le camion de pompier/un roquet dans une pelouse ; un pistolet sur un écran de télévision/un homme dans sa pelouse touché par une balle perdue ; l’eau du tuyau d’arrosage empêchée de circuler/une crise cardiaque. Autant de signes qui mettent à mal la logique de la représentation, et qui renvoient directement à la logique associative du rêve et aux déplacements théorisés par Freud. L’hypothèse se voit confirmée par le rêve de Sandy, la chanson de Roy Orbison In Dreams, et Jeffrey qui en fin de film se réveille dans son jardin, comme au sortir d’un mauvais rêve. La scène d’ouverture multiplie également les signes d’interdiction (barrière blanche, panneau stop pour faire traverser les enfants, parcelle de pelouse délimitée par une ficelle). En fin de compte, le cordon de sécurité de police “ Do not cross ” coupé d’un coup de ciseaux est bien une invitation à la transgression à laquelle répondra Jeffrey lorsqu’il franchira la fameuse Lincoln Street, malgré la mise en garde de sa vieille tante.