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  De l'eau tiède sous un pont rouge (c) D.R.

La jaquette du DVD proposée aujourd’hui donne une plus large part au sexe, supprimant l’aura apaisante du bleu à l’avantage des tons chauds du rouge et de l’ocre. En bas de l’image, on retrouve la même Saeko traversant le pont (mais cette fois vers la gauche, l’image étant étrangement inversée) avec son ombrelle et son pull rouge. Derrière elle, Yosuke a disparu, et n’apparaît que dans l’étreinte passionnée qu’ils partagent. Cette étreinte n’est plus à l’état de silhouette, elle dévore l’espace, s’imposant, retrouvant la matière qu’elle perdait dans le ciel du premier visuel : la peau est tannée, les lèvres de Saeko rouges. Le sexe n’est plus une vision, le fruit d’un fantasme semblant veiller sur les deux personnages. Il devient le centre de toutes les attentions, s’affichant sans pudeur. Derrière cette image où la passion se fait palpable s’incruste un fond beige rappelant du papier froissé, peut-être du parchemin, comme pour renforcer l’aspect pesant et matériel des corps qui ne se rêvent plus mais agissent sans retenue, mais aussi les incrustant dans la légende de l’écrit. Tout alors devient indécent : la bouche ouverte de Saeko, les reflets sur ses joues, la peau que l’on devine moite. Le titre même, De l’eau tiède sous un pont rouge, renvoie directement aux sécrétions sexuelles des personnages. Toute la réserve de l’affiche de cinéma se libère enfin, et l’excès qui caractérise Imamura peut se déchaîner.

De l’eau tiède sous un pont rouge est un film profondément déraisonnable, une déraison que le réalisateur exprime avec délectation, alors que ses personnages cherchent absolument à rentrer dans le rang, jusqu’à ce qu’ils prennent conscience de l’inutilité et de la bêtise de la raison. A quoi bon être raisonnable si c’est pour vivre minablement dans une ville surdimensionnée, où l’humain disparaît au profit de la rentabilité ? Dans une vie où tout est régenté, Yosuke va trouver un trésor inestimable, celui de l’individu, celui de la liberté, surtout celui de la non-retenue et du charme de l’excès. L’eau qui surgit du corps de Saeko, dans une gerbe fulgurante, venue d’on se sait où, n’est que le symptôme visible d’une vie qui ne vaut d’être vécue que dans la disproportion.

De l'eau tiède sous un pont rouge (c) D.R.

Pivot de toute la communauté, Saeko est une figure matricielle dont l’excès (d’eau, mais aussi de passion et de sexe) fait peur. Rejetée, c’est pourtant par elle que se crée la vie : l’eau bienfaisante attire les poissons, les hommes vivent de la pêche, une pêche elle aussi codifiée (la pêche à l’épervier est interdite au jeune marathonien africain). Les personnages, Saeko y compris, refusent cet excès qui représente pourtant la vie. S’accrochant à une certaine réalité, ils ne se rendent pas compte qu’ils vivent dans un monde basé sur les légendes qu’ils croient ne pas être réelles. La grand-mère de Saeko en est la plus parfaite représentation : elle attend depuis des décennies son amoureux meurtrier, histoire que l’on raconte comme un conte, et ne mourra que lorsqu’un messager sournois lui aura donné de ses nouvelles, profitant enfin de la vie en s’étouffant avec des gâteaux le jour de noël. Elle entre alors définitivement dans la légende. Plus que Saeko, la grand-mère est un personnage profondément déraisonnable, disant à ceux qu’elle croise la bonne aventure, restant des heures assise devant sa maison à attendre, n’écoutant que la parole des dieux, qui sont par essence irrationnels. D’ailleurs, Saeko ne demande-t-elle pas aux dieux de se taire pendant les repas ?