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Yaaba

La première vraie rencontre entre Bila et Sana est filmée dans le sens d'une complémentarité : Bila, lui, est placé au bord gauche du cadre. Sana, elle, est placée au bord droit du cadre. La même image photographique se fait face, et s'inverse. Et se complémente. Le reste du temps, les corps souvent placés au précipice ou fuyant le « champ », indiquent cet Autre sans cesse repoussé, sans cesse écarté.

Souvent, aussi, un obstacle vient lutter contre l'harmonie des corps : du feuillage au premier plan, un mur, etc. Bila et Sana souvent pris en sur-cadrage d'évoquer leur distance, leur recul, leur prise de position lucide sur cette société qu'ils observent en silence. Et sans jugement. " Ne la juge pas " est-il d'ailleurs dit dans Yaaba. « Elle a peut-être ses raisons ».

Au tour de Yaaba, également, cette brèche réelle dans la chair de Nopoko lors d'une altercation avec des enfants du village. Cette coupure au couteau sera le nouvel élément dramatique du film jusqu'à la fin, il en est le suc. Les rares gros plans du film, comme des moments de rupture esthétique violente, traquent ces plaies ouvertes dans la peau des bras et des visages. Yaaba est cette grand-mère au vieux corps filmé sans détour. La peau, « le profond ».

Métonymie de la distance, va et vient entre le corps de l'Afrique et les visages, entre monde intérieur et extérieur, Yaaba raconte aussi la mise à l'écart d'un monde et d'un cinéma. Mais le film aborde aussi ces territoires intimes où l'identité personnelle est possible. Identité possible soit dans la disparition du monde (le mot revient souvent dans le film et les enfants jouent sans cesse à disparaître), soit dans la révélation des corps (chair ouverte, adultère révélé, passé des ancêtres révélé, etc.). Mais toujours dans le choix et l'émancipation.


LES REGARDS, TERRITOIRES INTIMES


L'identité et l'harmonie passent dans Yaaba à travers des instants intimes et personnels, soit par la parole à voix basse (les enfants chuchotent souvent pour eux-mêmes comme au théâtre), soit par des lieux confinés (la case où s'enferme une femme, le bosquet où se cache le couple illégitime et où se dissimule Bila, etc.). Mais, une autre formule permet de vivre pleinement son «  soi » avec l'Autre, c'est le regard, le partage des regards pour être plus exact encore. Le regard, seul, n'est peut-être plus suffisant, il faut « l'échanger » désormais.

  ’Idrissa Ouedraogo

Yaaba fourmille ainsi de raccords-regards entre les êtres vivants et « voyants » du film. Jean Rouch parlait d'ailleurs de ce fondement social et cinématographique au sujet d'Idrissa Ouedraogo précisément : « Je parle avec lui [Ouedraogo] et je lui dis que dans le cinéma ce qui manque aujourd'hui, c'était les raccords-regards et que dans le cinéma muet le regard était essentiel. Et il me dit « Mais où est-ce qu'on peut apprendre ça ? ». Je lui dis : « Tu vas à la Cinémathèque Française voir les anciens films ». Et c'est là, où nous avons tous travaillé. Il y avait cette découverte extraordinaire des regards ». (2)