Ce film caractérise de multiples lectures :
humour féroce d’une comédie typiquement britannique, film
noir en costume du XVII è siècle, film culte inclassable où
l’histoire de l’art masque à peine le commerce des corps féminins
et la semence des hommes. Ce pacte pervers et cette intrigue
picturale prennent source dans un labyrinthe intellectuel
proche de l’univers de Borgès et de l’esthétique filmique
de Barry Lyndon. Avec une apparence académique et quelques
préciosités piquantes, cette réalisation démontre avec raffinement
que le spectateur reste libre de choisir son histoire.
Partir en quête d’un sens devient futile, le spectateur est
immergé dans un monde pervers qui s’applique à brouiller l’intrigue
qu’il feint de conter. Le pacte qui unit le peintre à sa commanditaire
est un trompe-l’œil et une fête des sens. Il s’apparente
au contrat implicite entre le réalisateur et le public. Mais
le film intègre à plaisir une foule d’éléments perturbateurs
qui défait cet agencement parfait : « le spectateur
est pris de façon viscérale au sein de situations extrêmes
alors même que les moyens employés pour mettre en place ces
situations sont soumises à une distanciation critique. »
(17) Il s’agit d’une dégénérescence programmée, rendue
esthétique et surtout bien maîtrisée.
1) Il s’agit de la convergence des lignes de fuite :
le point de rencontre est situé au centre du tableau,
sur la ligne correspondant à la direction du regard
d’un observateur debout.
2) Chion (M.).- « Greenaway, cinéaste conceptuel »,
in Cahiers du cinéma, n° 397, juin 1987, p. 31.
3) A titre d’exemple, dessin numéro un : l’arrière
de la maison, première semaine, de 7 heures à 9
heures du matin. Dessin numéro deux : le jardin
d’apparat, première semaine, de 9 heurs à 11 heures
du matin et ainsi de suite jusqu’au douzième.
4) Didi-Huberman G.- La peinture incarnée,
Paris : Minuit, 1985, p. 55.
5) Dans le tableau La Flagellation du Christ,
peint entre 1450 et 1460, les premiers essais sur
la perspective ont été perçus comme diffamatoires.
Les personnages du premier plan qui sont de simples
notables de la ville d’Urbino paraissent très grands ;
à l’inverse, le Christ situé à l’arrière plan semble
tout petit. La petitesse a été vue à l’époque comme
une satire du Christ.
6) Joly M.- L’image et les signes, Paris :
Nathan, 2000, p. 115.
7) Curot F.- « La singularisation par la pluralité :
le style filmique de Peter greenaway, in Styles
filmiques 1 : classicisme et expressivisme,
Paris-Caen : Lettres modernes Minard, 2000,
p. 198.
8) Berthin-Scaillet A.- L’avant-scène :
Peter Greenaway, fête et défaite du corps, Paris,
n° 417/418, décembre 1992, janvier 1993, p. 9 (propos
du réalisateur).
9) Dans son tableau Le tricheur à l’as de carreau
peint en 1630, De La Tour partage sa toile en trois
rectangles verticaux pour constituer le rectangle
harmonique du tableau. Les axes médians de la toile
découpent les trois rectangles en neuf carrés. Ces
derniers sont considérés comme des formes parfaites.
Pour simplifier, le nombre d’or désigne un rapport
de proportionnalité déduit des formes géométriques
que les pythagoriciens considéraient comme parfaites :
le carré et le cercle. Notons que le viseur de Monsieur
Neville est un cadre rectangulaire quadrillé de
neuf carrés.
10) Aumont J.- L’œil interminable, Paris:
Séguier, 1995, p. 118.
11) Boillat A.- La fiction au cinéma, Paris :
L’Harmattan, 2001, p. 136.
12) L’avant-scène : Peter Greenaway, fête
et défaite du corps…op. cit., p. 33
13) Collectif.- L’avant-scène : Peter Greenaway,
Meutre dans un jardin anglais, Paris, n° 333, octobre
1984, p. 25.
14) Styles filmiques 1 : classicisme et
expressivisme…op. cit., p. 212
15) Peintre allemand qui vécut de 1730 à 1797. Le
cinéaste a fait un anachronisme sachant que le peintre
a vécu au XVIII è siècle et que la scène du film
se déroule durant l’été 1694. Cependant, l’œuvre
de Zick illustre parfaitement l’intrigue du film.
16)Aumont J.- Les théories des cinéastes,
Paris : Nathan, 2002, p. 49.
17)Collectif.- Du maniérisme au cinéma,
Poitiers : La Licorne, 2003, p. 222