Ce jeu malsain de l'esprit est un décryptage
du leurre : les hommes ont l'impression de dominer et les femmes
pensent assumer leur avenir dans des étreintes incertaines.
La caricature trahit non seulement la perversion mais également
la fin d'un monde aristocratique comme dans The Baby of macon.
Ce monde se liquéfie et se meurt dans l'absorption du fruit
défendu. Le film exalte un certain goût pour la provocation
et ce maniérisme relève d’une forme d’expérimentation :
« En opposition au classicisme d’origine théâtrale, Greenaway
semble s’être situé dans la tradition élisabéthaine de la représentation
en voulant placer la violence au centre de la scène et non en
coulisses, et au-delà en expérimentant l’extension des limites
du représentable. » (14) L’expérimentation du cinéaste
fait du film un trompe-l’œil.
Le tableau intitulé Hommage à l’optique de Januarius
Zick (15) est commenté par Neville lui-même alors qu’il
défait les lacets de la robe de madame Herbert. Tandis que les
gros plans suivants détaillent les parties du tableau, on entend
en hors champ les commentaires du peintre qui propose une analyse
de l’œuvre : « si des cinéastes s’inspirent de la
peinture, c’est qu’au fond le monde est aussi peinture. »
(16) Les éléments de la diégèse du film se retrouve dans
le tableau : jardin, badinage amoureux, clair-obscur et
jalousie. Le gros plan focalise l’attention du spectateur sur
une partie de la toile tout en commentant chacun des thèmes
évoqués précédemment, mais à aucun moment un plan général sur
le tableau ne permettra un recul suffisant. L’œuvre est encore
une métaphore du meurtre, reste au spectateur à reconstruire
les indices d’un puzzle subtil dont le maniérisme perverti empêche
toute lucidité.
Monsieur Neville dira à madame Herbert :
« Voyez-vous un fil narratif dans ces épisodes disjoints ?
Il y a du drame dans ce jardin surpeuplé. Quelle intrigue
est-ce là ? […] Croyez-vous qu’un meurtre se prépare ? »
Véritable trompe-l’œil qui nous donne à réfléchir sur l’écart
qui existe ente la réalité et ce maniérisme. Ce dernier
cache le crime sous un clair-obscur digne d’un Caravage
ou d’un La Tour. Dans ce film, la femme est toujours cantonnée
dans l’obscurité derrière les persiennes et les bougies
tandis que Neville toujours exposé à la lumière représente
la proie idéale. Il s’agit d’une nouvelle forme d’expressionnisme
propre au cinéaste dans lequel la lumière dramatise l’événement
maniériste.
Conclusion
La représentation de l’intrigue
livrera-t-elle les secrets de l’énigme, déclenchera-t-elle
les mécanismes des aveux au spectateur ? Le treizième
dessin sera fatal pour le dessinateur. Le complot subversif
ne sera pas élucidé. Monsieur Neville sera mis à mort sans
avoir pu achever le dessin de la statue de l’homme à cheval.
Située devant un bassin, on y jettera son corps après lui
avoir brûlé les yeux. Ce sont les maîtres qui exécutent
la basse besogne et non les femmes alors qu’elles l’ont
probablement commanditée. Cependant la fin du film ne donne
aucune explication. Perdu sous le flot d’une imagerie kaléidoscopique,
le nœud de l’intrigue, sous l’apparence d’un formalisme
cartésien, se résout par une brutalité qui laisse le spectateur
dans le doute. Plus qu’une humiliation et qu’une agression
sexuelle, c’est une violence pour la lutte des classes.