Comme dans Blow up où le photographe
ne découvrira les indices d’un meurtre qu’après avoir fait
développer les photos, le dessinateur ne comprendra jamais
les messages subtils de ces objets ni ne saisira le complot
qui se trame hors champ : « croyant à la transparence du signe,
comment Neville percevrait-il cette autre mise en scène élaborée
par la double figure féminine de la mère et de la fille, puisqu'il
y devient le substitut du père assassiné, unique objet de
la quête où il s'acharne. » (13) Le peintre n’identifie
pas cette double nature de l'intrigue qui prévaut l'instabilité
du sens. Monsieur Neville peut décoder la vérité alors qu'elle
se retourne en son contraire. Pensant maîtriser ses deux femmes
par le sexe et le langage, il devient l'objet victime d'un
certain maniérisme qui incarne le chaos dans cet Eden britannique
trop bien rangé.
Maniérisme perverti
La composition plastique
du film de Greenaway reste maniériste. Il existe une surcharge
d'accessoires avec les costumes exubérants, avec l'ampleur
du décor constituée de jardins bien taillés qui s'étalent
à perte de vue. De surcroît, l'élocution affectée des acteurs
et leur position statique dans les cadrages rendent leurs
mimiques caricaturales. Préciosité dans cette composition
qui entraîne une exagération formelle. Images baroques : le
remplissage de toute la surface de l'image cache un problème
de fond. Outre la somme organisée d'éléments empruntés à l'histoire
de l'art, le réalisateur ne dévoile pas la vérité. Le film
a besoin de mensonges.
Sous la respectabilité de l'image proprette
et des dialogues aux joutes verbales succulentes, le vice
apparaît. Sous l'apparence d'une société stricte, une décadence
luxuriante pousse la provocation jusqu'à son point ultime.
Ces personnages s'accrochent au code ancestral des valeurs
aristocratiques : l'honneur du nom et de la descendance. Figé
dans une caricature sous l'égide du regard satirique de Greenaway,
le sexe fort est ridiculisé. Les hommes sont « emperruqués »
et poudrés de manière grotesque cachant à peine la sottise
et l'impuissance.
A l'inverse, les femmes plus dignement accoutrées masquent
la dissimulation et la ruse. Madame Herbert et sa fille représentent
le sexe faible pervertissant les conventions qu'on lui attribue.
Les manières de ces dames sont autant de moyens pour duper
la gent masculine. Elles se sentent menacées et doivent assurer
leur survie dans un monde impitoyable sous une tutelle masculine
oppressante qui se préoccupe peu du sort des femmes. Ce film
est marqué par une sorte d'extravagance qui se joue des éléments
historiques du décor pour installer une perversité qui contamine
les sujets.
L'effet voulu reste la caricature qui dévoile le monde raffiné
et corrompu d'une fin de siècle anglaise. La musique d'inspiration
purcellienne, étrange et captivante de Michael Nyman, dont
l'électronique donne une mélodie de coupe à l'ancienne, ponctue
de manière perverse le récit filmique. En effet, tous les
thèmes du meurtre, qui sont liés de manière mélodique, se
composent de quatre à cinq notes répétées. Cela crée une sorte
de fanfare dont le rythme obsédant caricature ces jardins
labyrinthiques. L'ordre des buis taillés et des obélisques
en plein dans la ligne de fuite fait croire au spectateur
qu'il se trouve émergé dans un décor historique et romanesque
dans lequel il pourrait s'identifier.