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Intrigue sexuelle et policière

Greenaway crée des pistes différentes en brouillant l'image et le son d'indices qui obscurcissent plus les données de l'image plus qu'ils ne les rendent limpides. Le film est construit comme un policier à la Agatha Christie avec une longue partie de cache-cache entre l'assassin et le spectateur. Ce dernier, dans l’instrument réticulé du peintre, disposera de ce qu'il voit comme il veut mais quelquefois les masques de l'intrigue dissimule l'image : « le cadre-limite régit seulement l’intérieur, la surface qu’il délimite ; au-delà du cadre-limite, il n’y a rien qui puisse se mettre en rapport avec cet intérieur » (10) excepté la voix off qui  commente métaphoriquement ce que l’on ne voit pas.

Peter Greenaway (c) D.R.
Il faut évoquer la séquence de l'ombrelle ouverte devant le spectateur et derrière laquelle le peintre goûte les fruits les plus intimes de madame Herbert tout en parlant de botanique. Les mots du hors champ évoquent le champ lexical de la fécondité. Les fruits sont délicieusement sucrés ; outre la métaphore sexuelle, le fruit traduit non seulement l'érotisme mais aussi le meurtre. La grenade, fruit de la nature, contient la mort dans son jus sanguin : celui de monsieur Herbert et de monsieur Neville. Perversion de l'image qui donne  à voir des scènes érotiques. La dernière est suggérée dans la pénombre d'une chambre dans laquelle les protagonistes apparaissent sur des plans bien distincts. Au premier plan, la fille regarde la scène comme dans un miroir. Véritable mise en abîme de l'allégorie du crime suggérée métaphoriquement par le fruit et par cette descente érotique infernale. Madame Herbert dira à monsieur Neville : « En mangeant le fruit de la grenade, Pluton retint Perséphone captive aux enfers. » L'intrigue transgresse les interdits, pénètre les « effroyables jardins ». Elle révèle la solidarité entre les deux femmes.

On peut affirmer que dans cette scène mise en abîme la mère prépare le lit de la fille pour le peintre, elle élabore également le complot. Cette étrange complicité présente à Neville la jouissance du corps de ces femmes alors qu'elles seront l'instrument de sa mort. D’ailleurs, madame Herbert tente de lui faire comprendre implicitement sa naïveté : « Oh ! monsieur Neville, je vous crois innocent de toute malignité. D’ailleurs, je vous crois innocent de bien autres choses. » Le peintre ne relèvera pas l’allusion, le meurtre symbolique et sexualisé par le sang d'une grenade après l'amour annonce sa mort violente. Elle ajoutera : «  Vous connaissez votre goût pour le concept visuel. Le jus de la grenade  peut être pris pour du sang en particulier pour le sang du nouveau-né et du meurtre. »

  Peter Greenaway (c) D.R.
Sous l'apparence d'une intrigue policière, le réalisateur construit une allégorie ambiguë et ingénieuse qui consiste à perdre le spectateur dans des symboles à double sens : « Il existe en effet une autre modalité d’orientation de la lecture selon laquelle les informants sont disséminés sur une portion filmique plus grande et participent dès lors plus directement à l’avancée du récit. » (11) Le thème de la grenade rappelle le meurtre de monsieur Herbert et préfigure la mort du dessinateur.

L'énigme est ponctuée et noyée par douze dessins avec un processus de reproduction au carré qui donnent peu d'explication sur les meurtres. Dans tous les plans où l’on passe du paysage enfermé dans le cadre de la mire, au dessin qui le produit dans le cadre de l’écran, l’allégorie oriente la perception du spectateur afin que le meurtre arrive sans qu’on s’en aperçoive. D’ailleurs, celui de monsieur Herbert ne sera jamais résolu. Cependant, dans le viseur du peintre quelques indices se dévoilent en arrière plan : une échelle contre un mur, une chemise apparaît posée sur un buis, une paire de bottes semble appartenir à monsieur Herbert. Ces objets  préfigurent encore la mort du peintre : « Le paysage du jardin anglais que Neville prétend investir contient plus que ce que sa mire peut "comprendre," dans la double acception de ce terme. Le hors champ lui échappe totalement et ne vient se manifester dans son champ visuel que par des signes aussi énigmatiques que sporadiques. » (12)