Greenaway crée des pistes
différentes en brouillant l'image et le son d'indices qui
obscurcissent plus les données de l'image plus qu'ils ne les
rendent limpides. Le film est construit comme un policier
à la Agatha Christie avec une longue partie de cache-cache
entre l'assassin et le spectateur. Ce dernier, dans l’instrument
réticulé du peintre, disposera de ce qu'il voit comme il veut
mais quelquefois les masques de l'intrigue dissimule l'image : « le
cadre-limite régit seulement l’intérieur, la surface qu’il
délimite ; au-delà du cadre-limite, il n’y a rien qui
puisse se mettre en rapport avec cet intérieur » (10)
excepté la voix off qui commente métaphoriquement
ce que l’on ne voit pas.
Il faut évoquer la séquence de l'ombrelle
ouverte devant le spectateur et derrière laquelle le peintre
goûte les fruits les plus intimes de madame Herbert tout en
parlant de botanique. Les mots du hors champ évoquent le champ
lexical de la fécondité. Les fruits sont délicieusement sucrés
; outre la métaphore sexuelle, le fruit traduit non seulement
l'érotisme mais aussi le meurtre. La grenade, fruit de la nature,
contient la mort dans son jus sanguin : celui de monsieur Herbert
et de monsieur Neville. Perversion de l'image qui donne à voir
des scènes érotiques. La dernière est suggérée dans la pénombre
d'une chambre dans laquelle les protagonistes apparaissent sur
des plans bien distincts. Au premier plan, la fille regarde
la scène comme dans un miroir. Véritable mise en abîme de l'allégorie
du crime suggérée métaphoriquement par le fruit et par cette
descente érotique infernale. Madame Herbert dira à monsieur
Neville : « En mangeant le fruit de la grenade, Pluton
retint Perséphone captive aux enfers. » L'intrigue transgresse
les interdits, pénètre les « effroyables jardins ». Elle révèle
la solidarité entre les deux femmes.
On peut affirmer que dans cette scène mise en abîme la mère
prépare le lit de la fille pour le peintre, elle élabore également
le complot. Cette étrange complicité présente à Neville la jouissance
du corps de ces femmes alors qu'elles seront l'instrument de
sa mort. D’ailleurs, madame Herbert tente de lui faire comprendre
implicitement sa naïveté : « Oh ! monsieur Neville,
je vous crois innocent de toute malignité. D’ailleurs, je vous
crois innocent de bien autres choses. » Le peintre ne relèvera
pas l’allusion, le meurtre symbolique et sexualisé par le sang
d'une grenade après l'amour annonce sa mort violente. Elle ajoutera : «
Vous connaissez votre goût pour le concept visuel. Le jus de
la grenade peut être pris pour du sang en particulier pour
le sang du nouveau-né et du meurtre. »
Sous l'apparence d'une intrigue policière,
le réalisateur construit une allégorie ambiguë et ingénieuse
qui consiste à perdre le spectateur dans des symboles à double
sens : « Il existe en effet une autre modalité d’orientation
de la lecture selon laquelle les informants sont disséminés
sur une portion filmique plus grande et participent dès lors
plus directement à l’avancée du récit. » (11)
Le thème de la grenade rappelle le meurtre de monsieur Herbert
et préfigure la mort du dessinateur.
L'énigme est ponctuée et noyée par douze dessins avec un processus
de reproduction au carré qui donnent peu d'explication sur
les meurtres. Dans tous les plans où l’on passe du paysage
enfermé dans le cadre de la mire, au dessin qui le produit
dans le cadre de l’écran, l’allégorie oriente la perception
du spectateur afin que le meurtre arrive sans qu’on s’en aperçoive.
D’ailleurs, celui de monsieur Herbert ne sera jamais résolu.
Cependant, dans le viseur du peintre quelques indices se dévoilent
en arrière plan : une échelle contre un mur, une chemise apparaît
posée sur un buis, une paire de bottes semble appartenir à
monsieur Herbert. Ces objets préfigurent encore la mort du
peintre : « Le paysage du jardin anglais que
Neville prétend investir contient plus que ce que sa mire
peut "comprendre," dans la double acception de ce
terme. Le hors champ lui échappe totalement et ne vient se
manifester dans son champ visuel que par des signes aussi
énigmatiques que sporadiques. » (12)