Ils demeurent figés dans des costumes
rigides et des perruques verticales dont l'excès rehausse la
perspective. Elle éloigne les personnages de la position de
l’observateur et en même temps ridiculise la prétention et l'immobilisme
de la classe aristocratique : « Dans la représentation
en perspective, ce qui est grand c’est ce qui est près de l’observateur,
dont la place est désignée par la composition même du tableau.
Ce qui est petit en est loin » (6)
Le réalisateur établit également un contrat entre la caméra
et les objets filmés comme s'il refusait la fluidité du montage.
Les douze dessins représentent un contrat esthétique entre
le spectateur et le cinéaste : « le découpage est lui aussi
"monolithique," faisant se succéder des blocs audiovisuels
autonomes, rendant la coupe d'autant plus visible, à l'opposé
d'une recherche de fluidité illusoire de l'action par le montage
de plans variés avec raccords sur mouvement. » (7) Il
est vrai que Peter Greenaway opte le plus souvent pour une vision
éloignée avec une majorité de plans généraux ce qui lui permet
d’élargir le champ le plus possible pour rassembler tous les
éléments. Cette vision totalisante et cet excès de distance
traduisent un certain baroquisme relevant de la peur du vide.
Pas un espace ne doit être ignoré, le
plan général embrasse la totalité du monde, mais il n'empêchera
pas l'élaboration d'un complot contre le peintre en dehors de
toutes les prérogatives du contrat. En fait, la peinture est
instrumentalisée et devient référence culturelle pour constituer
le décor d'un monde total : tel est le contrat du réalisateur
avec les œuvres picturales choisies. Par exemple, la scène du
baquet et celle de la dispute des époux Talmann dans leur chambre
rappellent les leçons de la perspective de Vermeer grâce à son
éclairage. Le balayage latéral de la lumière qui crée des obliques
sur l'objet central mis en scène, provient d'une fenêtre toujours
située à gauche. Ces obliques fabriquent une perspective dont
les lignes convergent sur les objets qui sont par conséquent
dramatisés. La scène du baquet rappelle le tableau du Géographe
ou de L'astronome dont la perspective est conçue à la
manière du peintre hollandais avec un sujet au centre éclairé
latéralement.
En fait, Greenaway architecte du rêve, maître du cadre, capte
les signes d'une autre réalité : « je conçois le cinéma comme
un vaste terrain sur lequel déployer des idées, et pour moi
il n'est pas censé être réel, ni refléter fidèlement le monde
dans lequel je vis. Au contraire, c'est le moyen d'expression
idéale pour qui ne prétend pas rendre compte du monde de manière
mimétique. » (8) Le cinéaste se fait le géographe de
ses terres irréelles toujours dans le souci de créer le plan
idéal : une peinture dont la perspective repose sur une ligne
de fuite parfaite.
D'ailleurs, l'appareil d'optique utilisée
par Neville reprend les proportions du nombre d'or telles
que les avait définies Georges de La Tour. (9) Le viseur
du peintre devenu caméra nous propulse dans le songe d'une
« comédie érotique d’un jour d'été ». Il segmente les
portions de réalité, tout est dévoilé ou presque sauf le meurtre
de Monsieur Herbert. Même l'acte sexuel reste montré et permet
de découvrir la brutalité des rapports sociaux. Le sexe apparaît
dans toute sa crudité, mais la conspiration et le meurtre
sont sous-jacents au contrat. Contrat pour la forme et assassinat
pour le fond d'une intrigue dont le meurtre ne sera jamais
puni.