Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
wesh wesh

Le point de vue s’engage dès lors dans une perspective mémorielle, du regard qui trace les lieux de rupture et de continuation, de ce qui relève du temps passé. Kamel le héros est celui qui observe, tel un scanner qui balaye de haut en bas et de droite à gauche l’espace entre ciel et gazon, et où sont rangés, immuables, tous ces blocs d’immeubles, si obstinément ordonnés. Souvent sans parole, musical, ce regard en contre-plongée pourrait être celui des enfants de la cité, qui toujours ont le ciel comme ligne d’horizon. Cette ouverture au vent et au soleil les conduit très à emmener Kamel au secret de la forêt, là où se niche un lac et les poissons à pêcher. Scène incongrue qui troue le récit de sa poétique charnelle, digne de Renoir par toute ce qu’elle suggère de plaisir au temps, dans un plan qui résume à lui seul toute la politique du corps. D’un récit qui permet l’échappée belle à toute les contraintes, et celle en premier lieu de la narration. Kamel devient un corps du ressenti, à l’image du film qui tente de capter presque peau à peau ce qui se noue et se tord entre ces gens. L’enjeu du film repose donc dans cette liberté de mouvement de tout un chacun, dans un espace de vie plusieurs fois circonscrit : la pression familiale (la mère refuse la petite amie française de son fils aîné) sociale (trouver du travail sans papier relève de la gageure, patron arable ou pas; à la police, (flicage abusif des jeunes déambulant avec leur propre scooter) aux dealer, (les jeunes se comportent comme des petits caïds extrêmement violents).

Venu de l’ailleurs, d’un pays sans visage si ce n’est le sien, celui d’un enfant d’ici rejeté là-bas, cette Algérie comme grand fantasme de l’exclusion punitive, Kamel est ce corps vieilli d’un homme plus si jeune que ça, qui est dans l’entre deux d’une histoire de l’immigration. Une histoire que la mère incarne : celle des bidonvilles et du passage de la boue à la cité.

  wesh wesh

La première scène dialoguée du film nous amène dans une cuisine d’un immeuble. La mère et la fille au travail de la pâte à pain discutent. Il faut dire l’humour mais aussi la beauté du regard du cinéaste qui filme en gros la rondeur de la pâte à pain, cercle doré qu’une féminine main étale, comme une invitation à sentir le moelleux. Si la mère porte la trace de l’ailleurs (habit traditionnel) la fille s’engage dans une autre vie, celle de l’accession à la propriété ici, en France où elle dit son écœurement de la cité. Le temps ancien, discrètement évoqué par la mère, de ce souvenir de bidonville (sûrement celui de Nanterre) sera la seule allusion au passé des parents. Tout comme cette discussion entre le mari et la femme où il lui dit l’échec du retour au pays et combien ce mythe lui a valu un surendettement.

Au sein de cette cité de Montfermeil, en Seine Saint-Denis, quatre grandes figures du mode d’habitat s’élaborent dans le film, que l’on pourrait caractériser par un mot : clivage. Il y a celui des parents, cette immigration ouvrière et familiale, qui, de la paysannerie algérienne en grande partie, sont devenus en France les premiers habitants des constructions issues des Trente Glorieuses, d’une France où la salle de bain et l’électricité devenaient accessibles pour tous. Il y a ensuite leurs enfants, les aînés qui sont partagés entre le chômage, pour certains des hommes (Kamel tourne en rond à chercher en vain du travail) et la rupture pour les filles (réussite à l’école, accès à la petite bourgeoisie) et celle-ci se situe dans le hors-champ du film, comme si ce monde était définitivement étranger à la cité. Il y a les plus jeunes qui refusent l’option du frère (se lever à six heures du matin pour se voir refuser un travail) et l’option de la sœur (vivre ailleurs avec un « Français » même pas marié), c’est le cas du plus jeune frère qui deale et s’organise une vie avec cette économie parallèle.

wesh wesh

Si le surplace est aussi son domaine partagé avec son frère aîné, il est plus restreint, allant du lit à la cage d’escalier, du hall à la cave et le terrain vague comme unique échappée. Et ce, avec l’omniprésence, à la fois discrète mais visible, des policiers, à pied ou en voiture, qui semblent déjà ceinturer cet espace. Le terrain vague rassemble en lui toute une poétique de l’espace où chacun des jeunes qui l’occupent semble devenir aussi beau et aussi grand que le ciel. Première accroche du film, où nous voyons des jeunes hommes jouer au foot, sous l’œil attentif de leur chien, la caméra au raz du gazon les filme comme des demi-dieux sublimes de jeunesse et de vivacité. Le terrain vague devient l’espace privilégié pour déployer toute une scénographie de plaisir et de joie, et où il devient possible de jouer au golf. Scène tendrement burlesque et incongrue, et par cette scène, le cinéaste nous invite très finement à reconsidérer notre système de représentation d’une certaine jeunesse des banlieues, à la manière de Kechiche qui avec son splendide film L’esquive, traçait une ligne d’amour au cœur d’une cité morose.




2001 Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe ? avec Ameur-Zaimeche