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Pier Paolo Pasolini (c) D.R. PIER PAOLO PASOLINI
Par Quentin GUICHARD


POETE DU LYRISME DECHIRE

Peu de cinéastes auront laissé une empreinte aussi particulière que Pier Paolo Pasolini dans l’histoire du cinéma. En marge d’un système cinématographique et social qu’il analysera pourtant avec assiduité et distance intéressée, le poète et cinéaste maudit, souvent comparé à la figure mystérieuse du Caravage, achève de mystifier (bien malgré lui) sa personnalité en étant assassiné dans des conditions particulièrement sordides par un voyou de la banlieue romaine. L’on sait ses fréquentations des quartiers homosexuels. Sa mort impose définitivement l’image du martyr et de l’artiste maudit et marginal. Retour sur un parcours atypique mais profond, riche et passionnant.


UN CINEASTE DUALISTE

  Contes de Canterbury (c) D.R.

Né de parents bourgeois et aisés, Pier Paolo Pasolini naît le 5 mars 1922 dans la ville de Bologne. Dès son plus jeune âge, le jeune enfant affiche son attirance pour le monde poétique en écrivant ses premiers poèmes, tandis qu’il consacrera ses études à la philologie et à l’art, tout en continuant, jusqu’à la fin de sa vie, son intense production poétique qui se manifeste également dans ses œuvres cinématographiques. Si le cinéaste ne débute que tardivement sa carrière cinématographique, ce n’est que pour en maîtriser les particularités et « la nature profondément artistique, sa force expressive, son pouvoir de donner corps au rêve ». Car c’est bien là l’une des particularités du cinéma pasolinien ; un cinéma fait de poésie pure et de simplicité parfois enfantine, comme en témoigne son triptyque intitulé la trilogie de la vie, composé du Décaméron (1971), des Contes de Canterbury (1972), et des Contes des milles et une nuit (1974), réalisés « pour le simple plaisir de raconter des histoires ». Des films où se mêlent une exposition naïve mais poétique de la vie, faite de sensualité et d’obscénité joyeuse, mais aussi une brutalité et un cynisme propre à la vision dualiste et contrastée du cinéaste.

Mais ce serait une erreur que de considérer le cinéma pasolinien comme l’exposition d’une vision naïve et simpliste du monde, car si la simplicité formelle de ses films semble parfois se coupler à la belle simplicité du propos, il n’en reste pas moins que la plupart de ses œuvres peignent également un monde décadent et souffrant, fait de misère et de tragédie. Sa première œuvre Accatone (1961), fable néoréaliste prenant sa source dans les fondateurs du mouvement comme De Sica et Visconti, expose la vie misérable d’un jeune proxénète des quartiers pauvres de Rome. Dans Œdipe Roi (1967), Pasolini s’attaque au mythe universel et propose l’interprétation originale de la tragédie absolue, tandis que dans Salò ou les 120 journées de Sodome, (1975) l’adaptation de l’œuvre éponyme du marquis de Sade, Pasolini expose la vision la plus terrifiante et macabre de la condition humaine, en présentant une humanité prisonnière et détruite par l’atrocité des sévices et des tortures infligées à la jeunesse humiliée. Le cinéma pasolinien se caractérise donc par une exposition dualiste de la nature humaine, à la fois belle et poétique, mais également empreinte d’une réalité et d’une lucidité propre à la personnalité désillusionnée du cinéaste. La joie et le bonheur de vivre côtoient la torture morale (Œdipe Roi) ou physique (Salò) et manifestent clairement la propre déchirure du cinéaste.