Mais le sacré pasolinien se place
dans un autre plan se posant comme une conciliation du matérialisme
marxiste avec l’idéalisme spiritualiste chrétien. Le sacré
conçu par Pasolini n’est pas une religion dogmatisante,
où l’homme serait un être pécheur par origine, ce n’est
pas une religion de l’âme prônant la négation du corps.
Justement, le sacré pasolinien se poserait davantage comme
une religion de la vie matérialiste. Le plaisir de
la chair, l’approbation totale du corps, la jouissance concrète
et matérielle offerte par la vie prend sa dimension sacrée
dans La trilogie de la vie, où la trivialité de l’existence
et l’amoralité de la vie simple transcendent l’enchaînement
négateur du sacré chrétien et s’imposent comme un remède
à celui-ci. Dans le triptyque, la religion chrétienne est
constamment tournée en dérision et se révèle même être une
chimère que les hommes ne cessent d’ignorer et de manipuler
avec cynisme. En témoigne la séquence du Décaméron, où
un assassin, engagé pour voler une maison d’usuriers,
se confesse avant de mourir après son arrivée. Cet homme,
voleur, assassin, violeur et homosexuel, désire se confesser
devant le prêtre le plus saint de la ville. Et c’est alors
qu’il commet son dernier mensonge, en confessant de faux
péchés si légers que l’assassin mourant est sanctifié par
son confesseur dans une scène devenue comique tant le jeu
des acteurs, volontairement surjoué et théâtralisé à outrance,
contribue à ridiculiser la religion chrétienne. Autre exemple
marquant avec son moyen métrage La Ricotta, où un
cinéaste blasé, incarné par Orson Welles, mets en scène
avec un faste et une grandiloquence comique la descente
de la croix : le Christ porté par la Vierge accompagné
de ses apôtres ; Orson Welles, en réalisateur tyrannique,
attend des acteurs un immobilisme total. Impossibilité,
évidemment : le Christ glisse des genoux de sa mère
dans un éclat de rire contagieux. Avec cet exemple, Pasolini
cherche une fois de plus démystifier, à désacraliser la
religion chrétienne par la prédominance du rire et du mouvement.
Mais pourtant, s’il semble que d’un point de vue strictement
intellectuel et idéologique, le cinéaste cherche à détourner
la religion chrétienne (excepté dans L’Evangile selon
Saint-Matthieu), il semble que d’un point de vue formel,
le cinéaste s’inspire de l’esthétique chrétienne, à travers
des portraits fixes évoquant par analogie les expressions
des piéta, oscillant constamment entre le maniérisme et
l’instantanéité.
EN CONCLUSION
A travers une exposition double et
dualiste de l’humanité, mêlant la joie et le désespoir, l’amour
et la haine, Pasolini peint sa propre condition de marginal
déchiré et souffrant. En marge d’un système social qu’il ne
cessera de critiquer, le marxiste révolté se pose comme la
matière même de ses œuvres, le sujet de celles-ci et le point
de départ de réflexions généralisées. C’est à partir de sa
souffrance, exposée dans un lyrisme touchant et exalté, que
le cinéaste ouvre ses œuvres vers l’abstraction qui tendent
alors vers l’universel. Critique du système social, invective
contre la religion, l’œuvre pasolinienne s’affirme également
comme un hymne à la vie, à la trivialité de l’existence et
à la beauté de la matière. Et c’est en ce sens que le sacré
prend toute son ampleur dans le cinéma de Pasolini :
c’est peut-être le seul thème où le cinéaste sera parvenu
à concilier le matérialisme propre à son idéologie marxiste
et le sacré d’une religion chrétienne qu’il semble respecter
tout en la réprouvant avec provocation et véhémence. A sa
mort en 1975, assassiné dans un contexte particulièrement
sordide, le cinéaste nous aura laissé une œuvre belle et poétique,
profonde et particulière, qui sonne comme un cri de désespoir
mais aussi comme un appel à la simplicité et l’innocence.
1975Salo ou les 120 journées de Sodome avec Paolo
Bonacelli 1974Les Mille et Une Nuits avec Franco Citti,
Franco Merli 1972Les Contes de Canterbury avec Franco Citti,
Laura Betti 1971 Le
Decameron / Il Decameron avec Franco Citti,
Ninetto Davoli 1970Carnets de notes pour une Orestie africaine
avec P. P. Pasolini 1970Les Murs de Sana'a / Le Mura di Sana'a 1969Médée / Medea avec Maria Callas, Laurent
Terzieff 1969 Porcherie
/ Porcile avec Pierre Clementi, Jean-Pierre
Léaud 1968Notes pour un film sur l'Inde avec Pier Paolo
Pasolini 1968Theorème / Teorema avec Silvana Mangano,
Terence Stamp 1968La Séquence de la fleur de papier 1967Qu'est-ce que les nuages ? / Che Cosa sono le
Nuvole 1967Oedipe roi / Edipo re avec Franco Citti,
Alida Valli 1966La
Terre vue de la Lune 1966Le Streghe avec Silvana Mangano, Alberto
Sordi 1965Toto au cirque / Toto al circo 1965Des oiseaux petits et grands avec Toto, Ninetto
Davoli 1964L'Evangile selon Saint Matthieu avec Enrique
Irazoqui 1964
Repérages en Palestine pour L'Évangile selon
saint Matthieu 1964
Enquête sur la sexualité / Comizi d'amore avec
P. P. Pasolini 1963 Quatre
histoires comiques 1963Rogopag de Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini
avec Orson Welle 1963La Ricotta avec Laura Betti, Orson Welles 1963La Rage / La Rabbia 1962Mamma Roma avec Anna Magnani, Ettore Garofalo 1961 Accatone
avec Franco Citti, Franca Pasut