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A corps accords

L'Atalante
Mais il y a surtout les corps.

La véritable révolution du film de Jean Vigo réside dans la façon dont il fait participer le corps des deux amants à tous les enjeux qui se posent ; l'initiation amoureuse, ou plutôt le test d'amour, inclut absolument, et de manière primordiale, le corps des acteurs dans le jeu de la séduction - par ailleurs innocente parce que hors des références morales de la terre - et du sentiment.

C'est à dire qu'aimer, ici, en image, se dit aimer avec le corps ; si je t'aime, c'est que je te désire, que ta présence charnelle produit son effet phéromonal sur moi, sur mon corps.

Vigo ose entrer dans l'intimité de ce que le cinéma parfois nommait sans le montrer : l'attirance des corps, vibrants de désir, parce que vibrants d'amour. En d'autres termes, on pourrait dire que Vigo filme l'invisible, le sentiment lui-même, impressionné sur la pellicule sensible par la force de l'engagement physique des personnages et de la caméra de Vigo, lancés tous trois dans une joute sexuelle dont n'apparaît pas l'acte - et encore! Tout le reste y est, et surtout les préliminaires.

  L'Atalante

Alors que les amoureux sont séparés, le temps de l'épreuve amoureuse ultime, ce que le film, par des moyens cinématographiques, montre, c'est l'élan du désir de l'un vers l'autre, frustrés par la distance, pour nous donner à vivre l’impossible fusion érotique. Où seul le cinéma par son montage et la technique de la surimpression réalise l’impossible, faire se fusionner deux corps séparés pour les réunir dans un même plan. 

L'Atalante est un film qui en larguant les amarres de la péniche se détache de toute contrainte, en toute conscience, au service d'un seul propos, d'une seule cause, l'amour désirant, celui des amants, celui du cinéma aussi, espace d'une liberté que Vigo paiera du prix de sa vie. D'ailleurs ne pourrait-on pas dire que l'Atalante, film d'amour, hautement poétique, défend l'idée que poésie et amour sont de même essence, c'est à dire magique? Et pourtant tout est concret dans ce qu'enregistre la caméra, même si ce qu'imprime la pellicule n'est que le spectre de ce qui s'offrait à sa vue. Voilà encore une piste, fragile et mouvante, pour essayer d'approcher la magie, la poésie, la modernité de l'œuvre.

L'Atalante

Vigo, dans l'Atalante, a filmé des infinités de mouvements, lui-même en mouvement ; il crée ainsi une rencontre, organise des situations qui semblent s'inventer sous nos yeux. Chez Vigo, rien de raide, rien de posé. Au contraire, le film construit un flux continu d'amour. Les personnages sont des enfants naïfs et forts, fondamentalement inadaptés et résistants, ceux de "Zéro de conduite" quelques années après avoir quitté l'école. La péniche invente un monde à part, en mouvement lui aussi, protégé tant qu'il ne mouille pas. Dernière mythologie, la mort prématurée de Vigo, qui nous laisse son œuvre en devenir et inexpliquée, puisque lui seul en avait la clef, qu'il a emportée, forcément.