Que Mann nous montre une plaine verdoyante
ou un désert, le paysage reste à l’écart de l’intrigue et
ne prend son sens que par lui-même : un élément faisant
partie de la réalité intangible de l’action et que l’on ne
peut par conséquent pas soustraire de la représentation de
cette dernière par l’emploi de focales longues. Certes la
présence du paysage est presque obsédante et donne naissance
à d’innombrables plans rivalisant de beauté entre eux. Mais
cette beauté est représentée à l’écran pour la seule raison
que Mann sent qu’il ne peut y échapper et non pour jouer à
l’auteur de cinéma qui se sent capable de conférer une dimension
supplémentaire aux personnages en dressant des parallèles
entre ces derniers et le paysage. Il n’y a ni dimension tragique
(Pursued de Walsh), métaphysique (the Searchers
de Ford) ou baroque (Duel au soleil déjà cité de Vidor)
dans la conception des décors naturels d’Anthony Mann.
C’est bien cette absence de
personnification du paysage qui renforce le propos même de
Mann, qui semble vouloir se retirer du monde du western en
y jetant un dernier regard chargé d’une amertume silencieuse.
Le fait que le spectateur se trouve face à une énigme supplémentaire
en scrutant les décors naturels ne peut que renforcer cette
vision crépusculaire et désenchantée des choses. Cette impression
de désolation est accentuée par l’accompagnement musical assez
efficace de Leigh Harline, dont la partition propose des thèmes
originalement orchestrées et se souvenant mieux de la leçon
de Mahler que nombre des compositeurs hollywoodiens abreuvés
de cette musique.
La profondeur de champ permet encore
à Mann d’épuiser son sujet par un grand nombre de variations.
Il ne s’agit en effet pas seulement d’être capable de placer
un grand nombre de détails différents dans un seul plan mais
aussi de forger une image riche qui complétera idéalement
sa voisine pour présenter une séquence. Ainsi lorsque Link
Jones arrive en ville au début du film, l’emploi de focales
courtes permettra de se rendre compte d’une activité urbaine
foisonnante. Le spectateur verra entre autres détails un artisan
passer dans l’allée principale en train de faire tourner une
roue de chariot. Ce sera également derrière une roue de chariot
que se placera la caméra pour observer l’interminable combat
à poings nus opposant Link Jones à Coaley. Durant cette séquence
Mann se montre à l’affût de tous les accidents du parcours
des combattants afin de les intégrer à l’image. La profondeur
de champ autorise l’intégration d’une dimension contemplative
pour dépeindre des péripéties qui pourraient au premier abord
sembler étrangères à de telles considérations.
Les plans ainsi travaillés sont
souvent fixes, ce qui ne surprendra pas au sein d’un tel
film. Mann semble en effet enchaîner des plans aussi figés
que le monde qu’il décrit. Certes la mise en images est loin
d’être statique mais les mouvements d’appareil discrets ne
nourrissent aucunement pour ambition d’apporter un dynamisme
ou souffle quelconque. Ils constituent au contraire un élément
supplémentaire de malaise. Au moment où les protagonistes
lèvent le camp pour se diriger vers leur destination finale,
Lassoo, la scène est filmée en un plan de grand ensemble qui
se conclut par une lente trajectoire de la caméra, surplombant
de plus en plus son sujet. Le mouvement ne paraissait pas
indispensable et l’immobilité du point de vue ainsi dérangée,
c’est un sentiment trouble qui s’installe. Jamais la mise
en scène ne présente un caractère rasséréné et paisible, il
faut chercher jusque dans la précision des mouvements d’appareil
pour trouver un monde saturé de décadence.