|
 |
|
|
Cette bouche devient montagne, souffle
caverneux, monde imaginaire, rabelaisienne et ogresse. La
bouche comme fil d’Ariane de Citizen Kane qui ne serait
qu’une histoire de bouche à nourrir, de bouches abreuvant
des paroles utopistes (profession de foi du jeune Kane) des
bouches d’amour (première épouse baisée) des bouches déversant
des slogans politiques, une bouche-bée comme un nouveau-né
(Susan et son mal de dent) la bouche opéra (forcer la gorge
de Susan à crier pour l’art). L’acharnement de Charles Forster
Kane à faire chanter sa femme trahit l’impuissance du créateur
Kane à agir jusque dans les cordes vocales mal accordées de
sa créature Susan. La greffe d’amour ne passe pas. Le fœtus
entend la voix de sa mère, Kane n’aura de cesse de restituer
à Susan cette voix maternelle, quasi amniotique, qui, sous
sa glotte, ne sera que débris aigus.
On pourrait comprendre sa volonté de puissance comme une tentative
de greffe maternelle sur la gorge de Susan, retrouver ce lien
phatique maternel par le sublime (toujours cet excès de débordement)de
la voix d’opéra. Mais l’opération en passe pas.
 |
|
|
|
Sa rencontre avec Susan survient à
un moment important dans le trajet de vie de Kane, il est
faible, impuissant et part à la recherche de sa mère dans
les vestiges d’un garde-meuble, qu’il n’atteindra jamais,
car sur son chemin il croise une jeune femme qui a mal au
dent. Maladie d’amour enfantine ? La boule de neige est
présente, Rosebud semble clignoter comme une pulsation temporelle,
un objet-revenant qui troue la scène d’une temporalité maternelle.
Le sein blanc. Faire des ombres chinoises à Susan avec ses
mains d’homme âgé, c’est pour Kane jouer à refaire son cinéma
d’enfance, lanterne magique d’un conte d’antan où le blanc
du mur n’est pas si éloigné du blanc de la neige lorsque enfant,
il y traçait des lignes avec sa luge. Exiger d’elle qu’elle
chante, qu’elle lui donne sa voix, c’est aussi et surtout
pour Kane l’expérience un double transfert maternel :
sa propre mère Mary Kane (américaine ?) était de modeste
condition comme Susan, elle avait un piano ouvert (présent
dans la scène de séparation familiale avec le banquier Thatcher)
mais surtout Kane va assumer le rôle de la propre mère de
Susan qui voulait faire de sa fille une chanteuse. Avec Susan,
Kane aura à la fois un rapport lié à l’enfance (perte, innocence)
et à la mère (trop présente, trop absente). La belle deviendra
entre ses mains non pas une princesse mais une femme blessée
à mort, droguée de puzzle jamais finis (cassés) déchue et
alcoolique.
Si le conte de fée s’amorce sous le signe de l’angoisse et
du fantastique dès la séquence d’ouverture, Citizen Kane
ne cesse d’escamoter les attendus d’un tel récit initiatique.
Et pour nous offrir quoi au juste ? Un gimmick de pacotille
(tout ça pour ça ?) ou bien quelque chose de plus secret,
de cette captation orale, nerf de la création de tout le cinéma
wellesien ? Et si Rosebud n’était que le sésame ouvre-toi
des récits de simulacres, qui nous sont chers car ils nous
aident à vivre et rêver un peu peut-être…
 |
|
 |
|
A l'occasion de l'édition du coffret DVD collector
de Citizen Kane,
les Editions Montparnasse mettent en ligne un site
consacré à Orson Welles, au film lui-même, à l'histoire
de son tournage, à la polémique qu'il déclancha
alors, à l'histoire des studios RKO, ainsi qu'un
quizz mettant en jeu de nombreux coffrets collector.
>
www.citizenkane-video.com
|
|