Mais ce château ne s’offre qua
dans une succession de plans brumeux sur des décors hétéroclites,
bric-à-brac d’un monde enchanteur et exotique. Où se côtoie
le sublime romantique (gondole vénitienne) au sauvage de la
jungle domestiquée (des singes). Un château composite, à la
fois temple hindouiste, colonnes gréco-romaine, tours victoriennes.
Un château d’un vampire si l’on écoute cette musique inquiétante,
au sourdement qui gronde lointain dans cette nuit noire. Et
ce « gong » qui claque, grave. L’oreille est en
alerte comme le regard happé par ce point lumineux. Le cadre
se resserre jusqu’au cadre fenêtre en ogive, où la lumière
s’éclipse brutalement. Silence. Nous sommes passés de l’autre
côté. D’un lieu indistinct aux contours menaçants, entre humidité
et vapeurs d’enfer, à un corps immobile allongé, tenu par
cette haute fenêtre de cathédrale.
Il neige des pellicules blanches
et fines. Au corps enneigé se substitue par vampirisation
de plan un chalet aux toits lourds de neige immaculée. Faux
raccord temporel, ce chalet n’est pas la réminiscence d’un
autre temps, d’un autre lieu, il n’est que ce vulgaire jouet
tenu par une main d’homme qui s’ouvre et laisse tomber cet
objet de bazar. Fracas de verre, écoulement liquide granuleux.
Du sang de neige ? La bouche ourlée de poils neigeux
murmure. Un ogre bouche qui meurt la gueule ouverte sur
un mot énigmatique « bouton de rose ». Ces chairs
de pétales plissées enroulées sur un point nodal de la jouissance ?
Citizen Mouth
L’ogre souffle « Rosebud »
et s’éteint, telle une lumière fatiguée sur ce mot fatal
qui déclenche le faux récit d’intrigue journalistique. Un
truc qui se balade, comme un mot-cadavre que l’on se refile,
chacun ne sachant pas trop quoi en faire. La parole de tout
un chacun va déployer un corps Kane à plusieurs âges de
la vie, autant d’incarnations convoquées pour un montage
audiophonique. Kane fait se raconter ses contemporains,
chacun témoigne de son morceau de Kane comme d’un bout d’os,
morceau de rêve américain touché de près. Il naît de la
parole, de l’écrit, du témoignage que chacun peut rendre
sur lui. De fait, s’il existe, il n’existe que par le désir
de l’autre de le faire apparaître ou non. Kane est un cadavre,
une dépouille invoquée, convoquée par une pulsion de savoir.
Presque de dévoration sur lui, le film construisant
un spectateur carnassier en même temps que voyeur. Nous
retrouvons cette bouche initiale, ce gros, plan presque
tendre à force d’immensité monstrueuse, sur les lèvres ourlées
d’une moustache d’un homme qui meurt. Cette bouche, c’est
nous de fait.
La bouche sublime de poils gris neige est belle, si immense,
totale dans ce plan énorme, où d’aucun film X n’a su l’égaler
depuis, ce cinéma à l’esthétique rongé, régi par le dictat
du gros plan sur ça ou ça (une bite ou un sexe sans poils).