Permanent Vacation, Stranger
than Paradise, et Down by Law (excepté la présentation
de Jack et Zack qui annonce les films suivants ) sont des
films linéaires : on suit le trajet des personnages, et lorsqu’ils
se séparent, on reste avec l’un d’eux - de préférence celui
qui attend, comme Eva dans Stranger than Paradise -;
les plans longs et statiques sont chargés de rendre sensible
le passage du temps dans son uniformité kantienne; les silences
sont nombreux et pesants, d’autant que les personnages restent
inactifs. Manière de faire qui ne témoigne pas d’une originalité
époustouflante - mais les romantiques, paradoxalement, sont
rarement d’une grande originalité - comparée à Antonioni,
Wenders, Straub / Huilet, ou Robert Frank (voir Candy Mountain)
- tous cités, sauf le cinéaste transalpin, au générique de
Stranger than Paradise -.
Mystery Train et Night on Earth sont construits
autours de l’idée de simultanéité. Le passage du temps n’est
plus rendu directement par la tentative de rendre sensible
son écoulement, mais par celle de rendre intelligible ce qu’il
implique, c’est-à-dire les chemins croisés ou parallèles des
diverses existences humaines. Dans ces deux cas, l’habileté
de Jarmusch consiste à n’avoir pas monté en parallèle les
différentes histoires, selon le procédé courant (Short
Cuts d’Altman ou Smoke de W. Wang) mais à les avoir
juxtaposées, de sorte qu’elles ne se déroulent pas en même
temps à l’écran; il faut donc à chaque fois revenir dans le
temps (comme les horloges dans Night on Earth) pour
se souvenir de la simultanéité des événements qui arrivent,
comme si chacune des histoires possédait sa temporalité propre.
Ainsi, la simultanéité apparaît bien comme un problème lié
au temps plus qu’à l’espace (plutôt concerné par la question
de l’ubiquité).
Dead Man conjugue les deux
types de présentation du temps pour aboutir à une structure
plus classique, un montage parallèle entre le pourchassé et
le poursuivant, où temps morts et rencontres alternent au
rythme de la musique de Neil Young, qui remplace les partitions
de Tom Waits et de John Lurie en gardant le même dépouillement
qui justement met en valeur la scansion rythmique, et par
conséquent le passage du temps.
Jim Jarmusch n’a pas révolutionné notre conception de l’existence
en mettant en valeur sa dimension temporelle. Il n’est pas
non plus le premier cinéaste à avoir, pour reprendre la terminologie
de Deleuze, construit des images-temps au cinéma.
L’intérêt de son œuvre n’est pas là, mais plutôt dans les
conséquences pratiques qu’entraîne la prise de conscience
de cette dimension, qui donne à ses films un caractère à la
fois attachant et discrètement subversif.
Car dans notre monde moderne où l’ensemble
de la jeunesse n’aspire qu’à se fondre dans la société,
et, ce qui va de pair, à trouver du travail, il entretient
l’idéal « rock » d’une existence marginale, romantique,
faite de voyages, de rencontres, de perpétuelles vacances,
de disputes futiles, d’humour et d’humeurs parfois mauvaises...
Rêve d’une existence dilettante et poétique.
Et dans notre monde obsédé de propreté où, surtout aux Etats-Unis,
fumer devient un péché, il défend ceux qui, le temps d’une
cigarette, donnent à leur vie une saveur subtile, puisque
ainsi, ils sentent le temps qui passe.
Bande
originale : Coffee and cigarettes
Musique du film de
: Jim Jarmusch Interprètes
: Iggy Pop, Tom Waits, Funkadelic, Richard Berry
Editeur : Milan
1. Louie, Louie - Richard
Berry and the Pharaohs
2. Nappy Dugout - Funkadelic
3. Crimson and Clove - Tommy James and The Shondells
4. Down on the street - The Stooges
5. Nimblefoot ska - Skatalites
6. Baden-Baden - Modern jazz Quartet
7. Hanalei moon - Hui Qhana and Jerry Byrd
8. Fantazias for the viols #3 in three parts
- Fretwork (Henry Purcell)
9. Enna bella - Eric Monty Morris
10. Saw sage - Cside and Tom Waits
11. A joyful process - Funkadelic
12. Louie, Louie - Iggy pop
13. I have lost track of the world - Janet Baker
and The New Philarmonia
2002 Coffee and cigarettes, avec Roberto Benigni,
Steven Wright
2001 Ten minutes older - The trumpet, de Victor
Erice, Werner Herzog
1999 Ghost Dog: la voie du samourai avec Forest
Whitaker, John Tormey
1997 Year of the Horse, avec Ralph Molina, Frank
Sampedro
1995 Dead Man, avec Johnny Depp, Gary Farmer
1993 Coffee and cigarettes III, avec Tom Waits,
Iggy Pop
1990 Night on Earth, avec Gena Rowlands, Béatrice
Dalle
1989 Mystery train, avec Nicoletta Braschi, Youki
Kudoh
1989 Coffee and cigarettes II, avec Steve Buscemi,
Cinqué Lee
1986 Down by Law, avec Tom Waits, John Lurie
1986 Coffee and cigarettes I, avec Roberto Benigni,
Steven Wright
1984 Stranger than Paradise, avec John Lurie, Eszter
Balint
1980 Permanent Vacation, avec John Lurie, Chris
Parker
La revue Eclipses
consacre un volume intégral au cinéaste
Jim Jarmusch, qui incarne sereinement depuis plus
de vingt-cinq ans une certaine idée de
l’indépendance et de la liberté
de création outre-atlantique.
(Eclipses 38 : « la voie de Jim Jarmusch
». 130 pages - Plus d'infos sur http://www.revue-eclipses.com)