En deux mouvements, le film nous montre
par-delà les trajets individuels une humanité coupée d’elle-même
– ce qui est peut-être la meilleure définition de l’aliénation.
Lorsque tout à un prix, plus rien n’a de valeur et les sentiments
humains sont rendus impossibles. Le film suggère avec force
que la puissance symbolique de l’argent tient à son absurdité
même : Marold va dépenser en quelques minutes pour sa
séance avec le bourreau (500 euros), ce qu’Ewa gagne en dix
jours de cueillette intensive de fraises… Ce décalage scelle
leur appartenance à des mondes différents dans une société
qui n’existe que par sa hiérarchie. A ce degré d’oppression,
la question de l’altérité ne se pose plus et les personnages
sont laissés en souffrance, esseulés, dans l’attente de leur
fin. Le « happy ending » de Struggle dans
le centre commercial est à cet égard d’une violence et d’une
ironie exaspérées.
Struggle for life (or death ?)
Le choix du mot anglais Struggle comme titre
du film est assez éloquent. Il renvoie assez clairement à
un monde dont les règles ont été élaborées par des marchands
et des penseurs (essentiellement anglo-saxons) qui, suivant
leur intérêt bien compris, ont plaqué sur les sociétés humaines
des schémas simplistes empruntés à ce qu’ils pensaient être
des « règles de la nature » - notamment la simplification
de l’idée darwinienne de « survie des plus adaptés »
comme l’un des critères déterminants de l’évolution des espèces
sur la Terre. Transposées au domaine économique – les plus
riches sont les plus adaptés, les plus sains, tandis que les
pauvres représentent les « déchets » de l’évolution
et ne méritent aucun égard – ces prétendues lois du « darwinisme
social » sont devenues le cadre idéologique dominant
recréant un monde à leur image : une jungle d’asphalte.