Comment Franju règle-t-il pour
sa part la deuxième option ? Dans une scène à la clinique,
il met en présence Christiane, filmée en plein pied de dos
et Edna de face, allongée, dont on ne voit que le visage,
le reste du corps étant recouvert de draps. Deux êtres réunis
en un seul plan qui les destine à ne former plus qu’un, le
visage d’Edna sur le corps de Christiane. Christiane ôte son
masque, Edna ouvre les yeux sur son visage mutilé. La terreur
ne naîtra pas de cette révélation – un plan bref, flou, sans
détail – mais bien de la réaction d’Edna, son visage déformé
par son hurlement. Ce qui nous terrifie est de voir quelqu’un
avoir peur.
Christiane et Edna découvrent chacune leur futur visage,
après opération. C’est un jeu de miroir que le cinéaste a
installé ici littéralement dans un champ contre (un) champ,
qui met en opposition net/flou, humain/inhumain, figuré/défiguré.
Le peur ultime, voir sa
propre peur
Edna a aussi vu dans le visage de Christiane
le reflet de sa propre peur, motif qui resurgit dans nombre
de films. On pense à l’utilisation du masque à l’expression
torturée, inspiré du tableau Le Cri du peintre norvégien
Edward Munch, que revêtent les meurtriers dans Scream
(1997) de Wes Craven. Dans la fameuse scène d’ouverture du
film s’est glissé un plan bref mais essentiel dans lequel
sont réunis le visage de la victime défiguré dans un cri de
terreur et, en reflet sur une vitre en face d’elle, le masque
du meurtrier, révélant ainsi leur similitude. Et en écho à
ce plan, les paroles de Christiane : « Les vitres
me reflètent, ma tête me fait peur, mon masque me fait plus
peur encore. »
Avoir peur fait peur. Voir la peur et encore plus le reflet
de sa propre peur fait peur. Que ce soit sous une forme lisse
comme le masque des Yeux sans visages ou terriblement
expressive dans Les Oiseaux ou Scream, il s’agit
dans les deux cas d’une béance laissée par une plaie, des
yeux ou un cri, un abîme, une défiguration. Le Voyeur (1960)de Michael Powell, et particulièrement sa toute fin,
reprend en compte les interrogations autour du visage de la
peur et mène une réflexion sur le fait même de le filmer.
Un visage qui a peur est un visage dé-figuré, qui révèle sa
part d’inhumain. Sa monstruosité, quelle que soit sa forme,
se rapproche peut-être du visage de la mort.
[1] Paroles que prononce l’héroïne des
Yeux sans visage, Christiane, interprétée
par Edith Scob.
[2]
Ainsi John Woo qui a déclaré s’être inspiré du
film de Georges Franju, fait référence aux Yeux
sans visage dans son film Volte/Face
(1997).
[3]
La notion d’enfermement est omniprésente dans
le film : oiseaux et chiens en cages, jeunes
filles retenues prisonnières dans le manoir/clinique,
prison évoquée par la police, cimetière et bien
sûr masque de Christiane.
[4]
On retrouve l’idée d’une inexpressivité glaçante
dans le jeu de Pierre Brasseur ou dans la scène
du petit garçon à la clinique.
1934 Le Métro 1949Le Sang
des bêtes 1950 En passant
par la Lorraine 1952Hôtel des
Invalides 1952 Le Grand
Méliès 1953Les Poussières 1953 Monsieur
et Madame Curie 1954Navigation
marchande atlantique 1955À propos
d'une rivière 1955 Mon chien 1956 Le Théâtre
national populaire 1956Sur le
pont d'Avignon 1957 Notre Dame
- cathédrale de Paris 1958La Tête
contre les murs 1958 La Première
nuit 1959 Les Yeux
sans visage 1961Pleins
feux sur l'assassin 1962Thérèse
Desqueyroux 1963Judex 1964 Thomas
l'imposteur 1966Les Rideaux
blancs 1966 Marcel
Allain 1970La Faute
de l'Abbé Mouret 1973 Nuits rouges