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Les détails de
son apprentissage du numérique sont cependant
plus révélateurs de son approche des nouvelles
technologies. Se confronter avec un nouvel outil nécessitait
pour lui la découverte d’une nouvelle voie artistique,
d’une nouvelle façon unique de créer un monde
imaginaire, et impliquait par conséquent l’exploration
et la maîtrise des spécificités de la
technologie numérique, afin d’éviter de donner
naissance à un simple ersatz de film, de photographie
ou de peinture. David se caractérise avant tout par
la diversité et la polyvalence des domaines artistiques
dans lesquels il œuvre. Son entrée dans l’ère
numérique devait obligatoirement se doubler d’une expansion
de son champ d’étude et de sa palette créatrice :
un nouvel outil pour plonger dans une nouvelle dimension de
son univers, une nouvelle technologie apte à le faire
traduire un pan de sa pensée que les autres techniques
avaient jusque-là laissé dans l’ombre. Ainsi,
loin de considérer l’image différente du numérique
comme un défaut majeur, comme c’est le cas régulièrement,
il pense que cette caractéristique technique finira
par influencer non seulement l’esthétique d’un film
qu’il tournerait grâce à ce procédé,
mais aussi l’histoire elle-même, comme par une réaction
en chaîne : l’image fluctuante devient à
ses yeux un atout susceptible d’inspirer des émotions
et des scénarios inconnus, et non plus une tare technique
qu’il s’agit de briser. Cette réflexion m’évoque
l’usage que David faisait de la vidéo dans Lost
Highway à travers les séquences censées
avoir été filmées par le Mystery Man
et qui engendraient une profonde angoisse chez le spectateur
(même s’il n’avait pas utilisé de caméra
vidéo proprement dit mais des objectifs qui s’en rapprochaient
pour cette série de plans).
David possède lui-même
une caméra DV et les essais qu’il effectue pour le
moment, essentiellement dans sa propriété, semblent
osciller entre documentaires animaliers à tendance
zen, proches de ses éternelles obsessions (une ruche
d’abeilles, " bee’s nest ", qu’il a filmée
pendant une heure entière dans l’arrière-cour
des bureaux de Picture Factory, et qui rappelle bien sûr
sa passion célèbre pour les insectes, des mouches
aux fourmis), et films expérimentaux à la Andy
Warhol (une scène nocturne – nous n’en saurons pas
davantage – qu’il a filmée en plan fixe douze heures
et qui, même s’il va la réduire à 28 minutes
afin de la diffuser plus tard sur le net, peut par exemple
évoquer " Sleep ", où Warhol
montrait un homme en train de dormir pendant des heures et
des heures). Afin de parfaire sa maîtrise et ses expérimentations
de la DV, il a par ailleurs fait construire un petit plateau
" right up on the top of the hill ". En
haut de la colline, dit-il, désignant l’endroit du
doigt… Je ne saurais l’assurer, mais cela paraît correspondre
trait pour trait au " Crow’s Nest " où
je logeais durant les trois mois du tournage ! Un tout
petit bâtiment de deux étages, carré et
construit intégralement en béton, jusqu’à
la terrasse d’où je savourais fréquemment les
lueurs de Downtown et le murmure lointain de la freeway
qui y menait. Des sons et des images associées à
jamais pour moi à ce périple inoubliable. Impression
bizarre, David expérimentant sa DV dans mon petit " chez-moi
lynchien " ! Espérons que mon souvenir
hante encore parfois cet espace familier et qu’il se présente
de temps à autre à son esprit, là-haut
sur sa colline…
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(1) La société
Picture Factory a été
créée au début 1998 par David
Lynch, Mary Sweeney et le producteur Neal Edelstein,
qu’évoque brièvement David durant
cette interview en disant que " Neal "
ne cessait de lui répéter d’aller
sur Internet.
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