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NOUS NE SOMMES PLUS MORTS !
De François L. Woukoache

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Je tire ma révérence, sincèrement, à Monsieur L. Woukoache. Je tire ma révérence pour ta démarche citoyenne. Oui, nous ne sommes pas citoyens de notre petit nombril mais du monde. Et la question me hante à présent : comment avons-nous pu nous taire et laisser faire ce qui s'est passé au Rwanda en 1994, et tous ceux qui ont préparé ce génocide. Un million de morts en trois mois « Tortures, déportations, viols, assassinats, exils, humiliations, souffrances nous n'avons pas réagi, pas concernés, trop occupés à faire [ à voir ? ] des films, trop loin ». Voilà, on en est là. Devons-nous continuer à ignorer le peuple rwandais ? François L. Woukoache avec son équipe et une dizaine d'écrivains africains francophones est allé sur les lieux pour un état des lieux. Le film commence par des ruines, par des tombes et un long poème funéraire qui nous fait partager le deuil de tout un peuple. Le film repose sur ces tombes, sur ces milliers de squelettes et de corps passés à la chaux qui s'exposent encore dans les églises. L'avenir du Rwanda repose également sur ses centaines de milliers de morts. Et puis on prend la route, l'équipe traverse les villages, les églises, rend visite aux morts et aux vivants, mais attention : ceci n'est pas un spectacle. Le réalisateur-narrateur nous rappelle en voix off les vers dAimé Césaire dans "Cahier dun retour au pays natal ": « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleur n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse ». Il nous renvoie à nous-même.

Le film se compose de deux mouvements dont le premier est "La mémoire douloureuse". C'est de loin le volet le plus fort émotionnellement, le plus dur à regarder, à accepter. Il y décortique les raisons dun génocide, écoute les rwandais rencontrés, grave leur mémoire. C'est difficile de parler après avoir vécu l'enfer, de gérer ce sentiment de colère mitigé par la peur (car il y a encore des massacres au Rwanda). Point de voyeurisme, les écrivains qui sont du voyage vont à la rencontre de ce peuple oublié aujourd'hui, d'être humain à être humain, un profond sentiment de respect s'en dégage. Pour comprendre les rwandais, il faut essayer d'imaginer ce qu'est l'enfer, mais comment imaginer quand la réalité dépasse toute imagination ? Alors on écoute, on est triste, on a honte et puis au moindre sourire, on a envie de sourire aussi. Parmi les réflexions de fond développées par le film, j'étais heureux d'entendre la voix de Monsieur Boris Diop, écrivain sénégalais, qui accuse, plus incisif que jamais : « L'art du journaliste, c'est l'art de mentir en respectant scrupuleusement les faits. J'ai toujours pensé que les français étaient impliqués mais au fond je n'avais pas du tout remarqué qu'ils étaient au coeur du dispositif du génocide et qu'au nom de la défense de la langue française, au nom d'intérêts stratégiques, par mépris pour la race noire, ils ont été les complices du génocide ». Il rappelle que le Rwanda est le seul pays africain qui n'a pas d'ethnie au sens scientifique du terme (la guerre du Rwanda n'est pas à rapprocher d'un conflit interethnique contrairement à ce que les médias ont véhiculé), qu'on y parle la même langue, qu'on ny a jamais connu l'esclavage, que le premier européen n'y est entré qu'en 1884, et pourtant ce petit pays est descendu au fond de l'abîme. Analyse succincte : mauvais leadership, pauvreté et ignorance en sont les trois raisons. Puis Boris Diop reprend sans masquer sa peur au regard d'un tel bilan, et aborde les vrais problèmes : « En se christianisant, le Rwanda a jeté par dessus bord toutes ses valeurs ancestrales africaines. [Le Rwanda] est l'exemple d'un christianisme totalement réussi pour certains, totalement raté pour d'autres ». Il pose là une question abordée aussi par Thomas Balmès, également en compétition avec "En attendant Jésus", qui filme l'évangélisation de la Papouasie Nouvelle-Guinée au passage de l'an 2000. Et puis il me reste ces images fortes de jeunes rwandais qui après avoir parlé devant la caméra sourient, rient même, comme libérés d'avoir parlé, ou plutôt de s'être senti écoutés. Il faut noter que les rwandais ont beaucoup souffert de leur isolement pendant ce conflit, et du désintérêt marqué du reste du monde envers eux. Le deuxième mouvement du film s'intitule "Vivre", et justifie le titre même du film. Malgré la pauvreté, et les plaies encore béantes, la vie tente de se réorganiser. Oui, il y a des gens qui vivent au Rwanda ! Le dernier plan illustrant un vol d'oiseaux laisse des doutes : ces oiseaux symbolisent-ils la liberté ou bien des vautours qui planent sur nos têtes ?