EN
ATTENDANT JÉSUS
De Thomas Balmès
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Ce film est certainement l'un des plus marquants
du festival, notamment parce qu'il n'apporte pas le témoignage
d'un passé, mais qu'il exprime un présent bien réel. La Papouasie-Nouvelle-Guinée
est un pays insulaire océanien qui a fait le paradis des chasseurs-cueilleurs
nomades. On y parle des centaines de dialectes pour certains
pré-polynésiens, on y cultive un art dont les masques sont
très prisés par nos collectionneurs. Certaines parties, très
difficiles d'accès, étaient encore inexplorées de l'homme
blanc il y a quelques années. Les Papous, eux, y vivent depuis
30.000 ans. Mais voilà, on a découvert tardivement que le
pays est très riche en minerais de toutes sortes (cuivre,
or, argent) et en bois, on a commencé à le prospecter à la
fin des années 80. Les autochtones en subissent les conséquences.
La main d'oeuvre est nécessaire pour établir de « nouvelles
» voies de communications, alors on évangélise. Les missionnaires
font leur boulot pour préparer l'arrivée des colons, et on
est au XXIème siècle !
Le film est très juste et ne laisse rien passer, il n'interprète
rien, il nous donne à voir simplement, impassiblement. "En
attendant Jésus", c'est l'histoire d'un peuple en perte
croissante de culture, d'identité. On demande à une génération
d'abandonner du jour au lendemain ses traditions, parce que
ce qu'ils font est mal (ah ! satanée culpabilité judéo-chrétienne
!), et puis pour mériter le paradis, il faut faire ce qu'on
vous dit de faire. Le blanc donneur de leçons. Elle est très
dure cette séquence où un vieux papou, résistant de la dernière
heure, nous montre, précieusement enveloppée dans des feuilles,
sa collection de plumes, un trésor acquis au cours de ses
multiples chasses ; et il explique qu'il lui faudra bientôt
la jeter et abandonner ses parures qui ne sont plus tolérées
dans les églises. Elles sont tristes ces images qui reviennent
sans cesse où l'on voit les vassaux des blancs impérialistes,
en cravate, des images « pieuses » à la main, en pleine harangue
évangéliste ; la foule, massée autour, regarde, les yeux grands
ouverts, écoute, avec crédulité. Il est dur à entendre ce
discours d'un chef de village qui explique comment, bientôt,
ses enfants travailleront main dans la main avec les blancs
dans les gisements pétrolifères ou gaziers, dans les mines
dor, et que tout ça c'est pour eux qu'on le fait, que maintenant
s'il y a le feu (problème fréquent dans la forêt papoue dont
les habitant pratiquent la culture sur brûlis), ils sont protégés
car ce n'est pas pour rien que les blancs ont installé des
pipelines partout. Elle est étrange cette image du prêtre
blanc, que l'on devine derrière la foule dans une procession
pour le jubilé, une foule plutôt excitée ; lui, n'a pas vraiment
d'expression sur son visage mais sa présence est forte, certainement
renforcée par son statut, et puis une fois dans l'église,
il va s'asseoir au fond de l'autel pour assister au prêche
de ses disciples fraîchement convertis, comme un observateur
des premiers germes de la graine qu'il vient de semer. Serait-ce
le diable en robe blanche ? « Un jour le diable vint sur
terre, un jour le diable vint sur terre pour surveiller ses
intérêts, il a tout vu le diable, il a tout entendu, et après
avoir tout vu, après avoir tout entendu, il est retourné chez
lui là-bas ! » (Jacques Brel)
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Le travail du cinéaste-ethnographe consiste
en partie à récolter assidûment les éléments cara-ctéristiques
d'une culture sur le terrain, de la magnifier parfois dans
des excès d'exotisme. Mais aujourdhui, tardivement, ne serait-il
pas plus intéressant de montrer l'envers du décor : comment
une culture peut mettre en péril, voire exterminer, une autre
culture ? Ne serait-il pas plus courageux de se regarder face
à nous-mêmes, d'engager notre propre responsabilité dans la
disparition des dernières formes de vies primitives sur notre
planète ?
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