Le palmarès du festival (prix récompensant à l'unanimité le 
                    film de Svetlana Stasenko « Petits restes »), énoncé le 17 
                    mars dernier, a provoqué cette année quelques remous. En témoignent 
                    ces trois réactions, envoyées à "Objectif Cinéma". 
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                   PAR : 
                    MATHIAS HEIZMANN  
                  Il faut dire que l'objet 
                    aurait dû entraîner une véritable émeute : tout dans ce film 
                    tient du scandale. De quoi est-il question ? D'enfant miséreux 
                    surpris par l'oeil de la caméra dans les rues de Moscou. Des 
                    poubelles de Mac Donald pris d'assaut par ces êtres en dérive, 
                    bref d'un problème éminemment politique qui aurait mérité 
                    pour le moins un honnête travail journalistique. Or, le film 
                    de Svetlana Stasenko ne peut prétendre ni à cette distinction, 
                    ni d'ailleurs au simple statut de film.  
                     
                    Car pour prétendre à cela, un point de vue minimum s'imposait. 
                    Or la cinéaste se contente de poser sa caméra à prudente distance, 
                    de filmer ses personnages à leur insu à l'aide d'une longue 
                    focale. Il y a dans ce procédé quelque chose d'obscène en 
                    ce qu'il transforme l'observateur en voyeur maladif, refuse 
                    au sujet la moindre parole, voire bien pire la moindre existence. 
                    Que nous montre-t-on ? Difficile de le dire. A Moscou en été 
                    il fait beau, ces enfants sont somme toute bien nourris, grâce 
                    aux restes des repas du fast-food qui leur fournit une pêche 
                    miraculeuse. N'est-ce pas mieux que de mourir de faim ? Et 
                    puis, ils sont libres (bien que parfois dérangés par un policier), 
                    jouent au cerf volant, se livrent à de savants exploits sportifs 
                    (pour lesquels, nous autres, sommes prêt à payer fort cher 
                    pour leurs pratiques). Bref tout est pour le mieux dans le 
                    meilleur des mondes. Sans compter que la musique accompagne 
                    leurs agapes : Piazzola, qui dit mieux ?  
                  Mais soyons sérieux. Le 
                    sujet est dramatique et méritait un travail d'interprétation 
                    poussé pour avoir simplement le droit d'être projeté. Ainsi 
                    traité, il devient un objet insignifiant qui prive ces enfants 
                    d'une chance d'expression nécessaire, d'une possibilité unique 
                    d'existence. Cette caméra a tout du viol : elle se cache, 
                    cadre à la légère, use de procédés scandaleux (le zoom tente 
                    de nous faire croire à un rapport de proximité voir d'intimité, 
                    véritable escroquerie puisque jamais nous ne pourrons nous 
                    rapprocher de ces enfants) et fait dans l'esthétisme de bas 
                    étage. Bref, en évacuant d'un même geste toute interrogation 
                    politique et toute forme de position cinématographique, en 
                    adoptant un style propre au documentaire animalier qui achève 
                    de brouiller les pistes, elle transforme ces enfants en objet 
                    masturbatoire. Et puis il y a cette musique qui les musèle 
                    en les privant des murmures et des bruits que leurs gestes 
                    peuvent encore provoquer, cette musique qui laisse entendre 
                    qu'ils participent au jeu de Piazzolla (une scène les montre 
                    en train de danser, un hasard exploité par la réalisatrice) 
                    et qui entretient l'illusion d'une complicité entre le caméraman, 
                    le musicien et eux. Mais est-on proche du chasseur à l'affût 
                    ? 
                     
                     
                     
                   
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