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CINEMA DU REEL 2001
Réactions à propos du
palmarès du festival
Par Mathias HEIZMANN,
ISTVAN BEHALY et FREDERIQUE RILLON



Le palmarès du festival (prix récompensant à l'unanimité le film de Svetlana Stasenko « Petits restes »), énoncé le 17 mars dernier, a provoqué cette année quelques remous. En témoignent ces trois réactions, envoyées à "Objectif Cinéma".


PAR : MATHIAS HEIZMANN

Il faut dire que l'objet aurait dû entraîner une véritable émeute : tout dans ce film tient du scandale. De quoi est-il question ? D'enfant miséreux surpris par l'oeil de la caméra dans les rues de Moscou. Des poubelles de Mac Donald pris d'assaut par ces êtres en dérive, bref d'un problème éminemment politique qui aurait mérité pour le moins un honnête travail journalistique. Or, le film de Svetlana Stasenko ne peut prétendre ni à cette distinction, ni d'ailleurs au simple statut de film.

Car pour prétendre à cela, un point de vue minimum s'imposait. Or la cinéaste se contente de poser sa caméra à prudente distance, de filmer ses personnages à leur insu à l'aide d'une longue focale. Il y a dans ce procédé quelque chose d'obscène en ce qu'il transforme l'observateur en voyeur maladif, refuse au sujet la moindre parole, voire bien pire la moindre existence. Que nous montre-t-on ? Difficile de le dire. A Moscou en été il fait beau, ces enfants sont somme toute bien nourris, grâce aux restes des repas du fast-food qui leur fournit une pêche miraculeuse. N'est-ce pas mieux que de mourir de faim ? Et puis, ils sont libres (bien que parfois dérangés par un policier), jouent au cerf volant, se livrent à de savants exploits sportifs (pour lesquels, nous autres, sommes prêt à payer fort cher pour leurs pratiques). Bref tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sans compter que la musique accompagne leurs agapes : Piazzola, qui dit mieux ?

Mais soyons sérieux. Le sujet est dramatique et méritait un travail d'interprétation poussé pour avoir simplement le droit d'être projeté. Ainsi traité, il devient un objet insignifiant qui prive ces enfants d'une chance d'expression nécessaire, d'une possibilité unique d'existence. Cette caméra a tout du viol : elle se cache, cadre à la légère, use de procédés scandaleux (le zoom tente de nous faire croire à un rapport de proximité voir d'intimité, véritable escroquerie puisque jamais nous ne pourrons nous rapprocher de ces enfants) et fait dans l'esthétisme de bas étage. Bref, en évacuant d'un même geste toute interrogation politique et toute forme de position cinématographique, en adoptant un style propre au documentaire animalier qui achève de brouiller les pistes, elle transforme ces enfants en objet masturbatoire. Et puis il y a cette musique qui les musèle en les privant des murmures et des bruits que leurs gestes peuvent encore provoquer, cette musique qui laisse entendre qu'ils participent au jeu de Piazzolla (une scène les montre en train de danser, un hasard exploité par la réalisatrice) et qui entretient l'illusion d'une complicité entre le caméraman, le musicien et eux. Mais est-on proche du chasseur à l'affût ?