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Aussi, comme l'annonçait les premiers plans
de tampons de passeports à la douane, la recherche d'identité
s'attache à des repères symboliques, matériels et non uniquement
de nature géographique. Fai a caché le passeport de Wing et
ne veut pas le lui rendre. Il l'a pris en charge et l'héberge
dans sa chambre, mais se voit ordonner par celui-ci de lui
restituer son symbole d'exilé indépendant. A nouveau ici,
le déracinement identitaire nourrit le conflit opposant Wing
à Fai. Objet symbolique, métonymique, voire objet de convoitise,
le passeport entraîne la seconde rupture (une preuve d'identité
conflictuelle) du couple et ses retrouvailles futures (le
passeport comme alibi de retour chez Fai). La perte du passeport
égare Wing et l'immobilise alors que cet objet devrait lui
permettre de circuler. L'objet d'aboutissement de l'exil se
mue en pur obstacle, par la faute de Fai. La recherche du
passeport symbolise, dans une personnification de l'objet,
la recherche identitaire de Wing. Mais l'obstacle que présente
la perte du passeport de Wing s'origine dans sa tentative
de s'extirper de sa réclusion quotidienne chez Fai. Sans passeport,
Wing est privé d'identité. Or, la pièce d'identité ne lui
serait pas rapportée s'il avait son repère à lui. L'exilé
poursuit sa quête en avant, de lieu en lieu. Sans papiers
ni domicile fixe, la chambre ne peut lui servir que de lieu
de transit.
Mais de quel transit s'agit-il ? La chambre sert-elle avant
tout de point de départ ou de point de chute ? Elle est un
repère insulaire : les deux hommes y vivent en reclus et nen
sortent qu'à tour de rôle. De la scène du taxi (sur laquelle
nous reviendrons) résulte un double état d'éveil, un soir
dans la chambre ; plus précisément, une inversion symétrique
de l'état d'éveil vers l'autre. Ici point, comme dans le taxi,
une des figures du déraciné : le regard vers l'autre, presque
perdu et sans retour. Une inversion s'est produite car leur
relation renvoie au regard de l'autre, dans une logique de
dépendance muette. Lieu de repos et de guérison (Wing, devenu
voyou, roué de coups, demande de l'aide à Fai qui le soigne
et l'héberge) et source de conflit (Fai a caché le passeport
de Wing dans son repère), elle s'apparente, pour le couple,
à une cellule mentale amoureuse. Toute la dialectique intérieur-extérieur
tient dans cet espace clos ; entre les quatre murs de la chambre
et la fenêtre donnant sur la ville, à peine distincte pour
eux, invisible pour le spectateur.
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Dans Happy together, occuper l'espace
de la chambre est toujours problématique. D'abord, les conflits
résultent d'une impossible union : faire cohabiter les deux
corps, dans le même lit, engendre par exemple une dispute
houleuse. Fai dort seul et change de lit si Wing le rejoint
: il s'exile. Ensuite, la cellule mentale s'ordonne à deux,
le rangement des meubles entrepris par Wing entraînant à
nouveau la colère de Fai. L'aménagement intérieur
de la chambre paraît ainsi difficile et délicat. « Je ne
dormirais pas si tu ne dis rien. Alors tu iras traîner dehors
! » lui rétorque Fai : l'espace mental de la chambre, à
l'oppression de serre, ne s'ouvre et n'évoque l'extérieur
qu'à l'approche du moindre conflit Wing est exilé du lieu
où il vit en colocation. L'incompréhension, la méconnaissance
de l'autre entraînent la partance de soi. Enfin, la relation
intérieur-extérieur mise en exergue par la réclusion dans
la chambre, fait ainsi miroiter l'infiniment petit (la chambre)
et l'infiniment grand (Buenos Aires). Un dysfonctionnement
général et intime des personnages et des lieux qui fait
naître leur sentiment de déracinement.
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