Vampirisé jusqu’au sang par cette société
perverse, l'extraordinaire Lee Kang Sheng, acteur fétiche
de la troupe de Tsai Ming Liang investit la caméra de son
incroyable présence (ou inanité) et fournit des prestations
de haut vol comme dans La Rivière où son organisme
à la dérive se contorsionne en proie à un démon intérieur
(et plus sûrement à une tension musculaire). Sa complexion,
comme trop à l'étroit dans ce monde marécageux, baigne en
plein marasme obligée d'accomplir des efforts surhumains
pour entamer la moindre action. L'insatisfaction, la frustration
règnent en maître dans le cinéma du Taiwanais Pourtant il
prête au sourire le plus franc car la vision de ces pauvres
pantins désarticulés à la vie étriquée provoque la plus
sincère compassion. Ces personnages n'existent que par un
profond désespoir qui revêt une mystérieuse poésie dans
un univers urbain et carnassier auquel il est impossible
de réchapper. Avec son dernier film Et là-bas quelle
heure est il ? dont la sortie en salles est prévue pour
mi-novembre, il parvient à un tel degré d'universalité qu'il
est fort à parier que Tsai Ming Liang, qui a bien décelé
l'appel de l'occident à son encontre, côtoiera peut être
plus assidûment nos contrées.
Ainsi, toute l'originalité du cinéma asiatique naît donc
de l'alliage d'une violence avant tout psychologique, liée
aux conditions politico-économiques de ces pays, et d'une
naïveté infantile qui retranscrit parfaitement l'intemporalité
de l'enfance, période douce et heureuse, où l'insouciance
est à son paroxysme. En grandissant, le malheur frappe inexorablement
ces jeunes adultes inaptes à rentrer dans la vie active
de ces sociétés anxiogènes où tout va trop vite. L'omniprésence
des vomissements qui prennent leur source dans les maux
urbains de la modernité conte la disparition pure et simple
de l'homme en tant qu'entité spirituelle au profit de l'homme
machine. Réduit à de simples devoirs, l'être humain se voit
interdit toute possibilité d'épanouissement. Ces histoires
enfantines qui tournent au cauchemar, héritent largement
d'une sémantique de l'héroïque fantasy (avec laquelle
ils sont fréquemment en contact par le biais des RPG sur
ordinateur, console de jeux), et confine le spectateur dans
un univers qui garde toujours une pointe d'onirisme. Onirisme,
engendré par la fascination des transports en communs, paradoxalement
lieux de communion à la « cause humaine » où chacun vit
seul avec autrui. Cette Nouvelle Vague asiatique
élève la solitude comme émotion salvatrice, menant ce cinéma
au rang des plus passionnants de ce début de siècle.
|
|
|
|
Alors bien que l'unique salle du Mac Mahon
recèle de petits défauts ( piètre qualité du son, pas de
porte isolant le couloir donnant accès à la salle, des spectateurs
arrivant sans gêne en plein milieu de la séance, Jimmy Sommerville
en boucle lors des entractes ) rattrapé par la sympathie
des organisateurs, qui ont orchestré de main de maître,
un festival qui a permis de revoir des chefs-d'oeuvre (Euréka,
Made in Hong Kong, The Hole, Mother, Bullet Ballet)
de mettre en lumière des films inédits sur nos écrans (
les merveilleux Peppermint candy, Tell me something )
et de définitivement asseoir la réputation de cinéastes
accomplis (Tsai Ming Liang ,Shinji Aoyma, Hirokazu Kore
Eda).